Et si on plantait des pommiers dans les terrains vagues de la ville?

Ou le long des rues, devant les maisons des nouveaux quartiers encore trop chauves? Ou dans les parcs aménagés dans les quartiers en pleine construction?

Pas des pommiers japonais très jolis quand ils fleurissent mais dont personne n'utilise les fruits, malheureusement. Plutôt des pommiers traditionnels, qui produisent des pommes que l'on peut manger aisément.

En revenant de l'école ou du bureau, à l'automne, hop! dans l'arbre, hop! une croquée.

Les plus hardis pourraient même fabriquer du cidre. Voire du vin de glace. Cuvée Côte-des-Neiges ou Côte-Vertu.

Farfelu?

Pas du tout.

Saviez-vous qu'en Autriche, une des régions officielles de production vinicole, donc où l'on fait pousser le raisin, est... Vienne? Oui, Vienne, la ville, la capitale, celle qu'ont parcourue Freud, Klimt, Schiele, Mozart et compagnie: importante productrice de cépages variés.

La culture se fait dans différents arrondissements. Pas au centre-ville, évidemment. Mais en ceinture. Des coteaux du XIXe arrondissement plantés de grüner vertliner, ce cépage typique, on aperçoit au loin la partie historique de la cité et les flèches de la cathédrale Sankt Stephan, le Danube, les secteurs résidentiels... Environ 700 hectares sont ainsi consacrés à la culture du raisin.

Vous riez?

Il n'y a pas de quoi même sourire, rétorquera Fritz Wieninger, rencontré là-bas récemment. Grand patron de la maison éponyme, sa famille produit du vin sur le territoire viennois depuis cinq générations. Vienne n'est même pas la plus petite zone viticole autrichienne, précise-t-il. Avec ses 700 hectares, elle n'est pas immense, mais c'est du sérieux, pas de l'anecdotique. Rien à voir avec Montmartre, oh! non. De plus, précise-t-il, ça en consomme, du CO2! En poussant, le raisin en a besoin à fortes doses, bien plus que le gazon.

Dans la capitale autrichienne, 32,5% des espaces verts - qui constituent déjà, en comptant les parcs, la moitié du territoire municipal - sont réservés aux activités agricoles. Quelque 6500 hectares où on fait pousser des fleurs, du raisin, des légumes, des fruits. J'ai même mangé des escargots élevés à Vienne.

L'agriculture urbaine n'y est pas une mode. C'est un fait. (Et on parlera une autre fois des terres municipales qui furent jadis des territoires de chasse, où sangliers, cerfs et renards se baladent encore aujourd'hui, bien protégés.)

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À Montréal aussi, l'agriculture urbaine fait partie du quotidien. Le programme de jardins communautaires, rappelle Jean-Pierre Lemasson, professeur au département d'Études urbaines et touristiques de l'UQAM, est progressiste. On peut en être fier.

Sauf que, continue le professeur, il ne faut pas s'arrêter à ça. Dans un monde où l'autonomie alimentaire doit être encouragée tout comme l'économie d'énergie, il faut penser plus loin et sortir des concepts traditionnels. Il faut penser aux toits verts, qui peuvent accueillir des potagers et même des serres. Il faut sortir des ornières climatiques qui ne peuvent justifier l'immobilisme, il faut réfléchir à tous les endroits de la ville où on pourrait planter (mis à part, évidemment, les lieux à garder verts pour les loisirs).

Toits, terrains vagues, terre-pleins, abords des grandes artères... Avons-nous vraiment besoin de tant de pelouse?

«Mais pour passer à cette étape, il faudrait que la Ville se dote d'une véritable politique alimentaire», note le professeur. Il faudrait, croit M. Lemasson, que l'alimentation des Montréalais devienne un enjeu public, politique.

Il faudrait, comme Vienne en a eu il y a une centaine d'années pour protéger son vignoble, des hommes et des femmes politiques visionnaires qui comprennent que l'agriculture urbaine n'est pas une blague, que ses bénéfices sont réels. Et que, pour la mener plus loin, il faut agir. On pense notamment aux changements réglementaires nécessaires pour ouvrir plus de terres à la culture, pour permettre certains petits élevages, pour encourager la plantation d'arbres fruitiers, pour limiter l'asphalte...

Aux États-Unis, les programmes municipaux encourageant l'agriculture urbaine se multiplient depuis quelques années, surtout dans les villes progressistes qui montrent la voie aux autres. À San Francisco, par exemple, pratiquement pas une journée ne passe sans que la journaliste spécialisée en urbanisme Allison Arieff (qui a notamment un blogue au New York Times) nous parle d'un nouveau projet. Quand ce n'est pas une entreprise qui loue des espaces sur les toits industriels pour les transformer en jardins, c'est une autre microsociété qui offre d'emprunter votre jardin pour y cultiver des légumes à votre place et partager la récolte. Ruches urbaines, guérilla jardinière (des gens qui squattent des terrains vagues avec leurs tomates et compagnie), cours d'école dont on arrache l'asphalte pour les transformer en potagers...

«Pourquoi tenez-vous tant à jardiner en ville?» lui ai-je demandé par courriel.

«Peu de choses dans ma vie m'ont apporté autant de joie pure qu'une tomate parfaite, m'a-t-elle répondu. Lorsqu'un citadin a accès à une cour ou à un jardin communautaire, il a une raison d'aller dehors, de bouger, de passer du temps loin des écrans. De se salir et de se fatiguer. De donner de la nourriture à ses voisins. De partager. D'être créatif. L'agriculture urbaine montre que la ville n'a pas à être toujours pressée.»