Sommes-nous en train de devenir complètement dingues?

Après les purges, les drogues, les privations, les détox et autres diètes de fous, sommes-nous en train d'ouvrir un nouveau front dans notre névrose anti-kilos: le stade chirurgical? Celui où on se fait nouer l'estomac par coquetterie?

Évidemment, doit-on se surprendre. Des hommes et des femmes, tous les jours, passent sous le bistouri en espérant se faire «lifter» l'âme en même temps que les fesses ou les paupières, quitte à y laisser leur peau.

Qu'y a-t-il de si différent, dans le fond, entre une opération bariatrique «esthétique» - qui ne vise pas à régler un important problème de santé - et une intervention de chirurgie plastique? Plus important comme opération? Peut-être. Mais certaines personnes meurent des complications d'interventions plastiques banales... Et tous ces choix comportent des risques et exigent un investissement physique - et financier - important.

Pourtant, il y a quelque chose dans ces opérations bariatriques sur demande qui va plus loin. Quelque chose qui choque encore plus.

Serait-ce parce que soudainement, on a devant les yeux cette nouvelle étape de notre insensée dérive contre les kilos, où santé et esthétique se mélangent complètement? Où on ne peut plus compter sur l'éthique médicale pour établir des balises raisonnables lorsque nos quêtes ne le sont plus du tout?

Cela fait plusieurs années maintenant qu'on observe une confusion d'objectifs dans notre lutte collective contre la prise de poids. Graduellement, depuis deux ou trois décennies, la recherche de minceur est en effet devenue, officiellement du moins, une recherche dite de santé. Entre la réelle lutte contre le cholestérol et la réelle lutte contre le surpoids causant diabète et problèmes cardiovasculaires de toutes sortes, se sont glissés des aliments dits «santé», des habitudes dites «santé», des recettes «santé», des attitudes «santé» qui, en fait, cachent souvent un désir général de minceur et de lutte anti-calories.

Pourtant, santé et minceur sont deux choses différentes.

Exemple typique: quand on dit aux enfants à l'école - et ça se voit beaucoup - que le gâteau maison de leur lunch doit être remplacé par des aliments plus «santé», style pomme ou carottes, ce que l'on vise, c'est d'abord et avant tout la diminution de l'apport calorique. Or, une telle diminution n'a pas de justification «santé» si l'enfant n'a aucun surpoids, diabète et compagnie.

Mais chasse aux calories, chasse aux kilos et recherche de santé se chevauchent et se mélangent et tout ce qu'on retient du chaos, c'est qu'il faut lutter à tout prix contre l'obésité pour être sain. Pas étonnant qu'un tel terreau ouvre la voie aux opérations bariatriques électives.

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Devant cette confusion et ces dérapages, de nombreuses questions doivent être posées.

Savez-vous que dans certaines écoles, au secondaire, on a vu des professeurs louer le faible pourcentage de gras de certains élèves, au nom de la santé, sans réaliser que ces jeunes souffraient de troubles du comportement alimentaire?

Combien de médecins, avant de sermonner leurs patients sur leur surpoids, leurs problèmes de cholestérol et compagnie, cherchent à en connaître la cause profonde? Pourtant, ni l'hyperphagie ni la boulimie ne se guérissent après de simples avertissements, encore moins s'ils sont culpabilisants.

Comment peut-on à la fois faire continuellement la morale à la population sur son indice de masse corporelle (IMC) et ensuite s'étonner de voir les gens qui sont aux limites théoriquement acceptables, mais néanmoins supérieures de cet indice prendre des moyens radicaux pour faire baisser leur poids? Qui a envie d'avoir la moins bonne note de la classe, toujours sur la frontière de l'échec?

Et où sont donc les médecins (et autres professionnels en santé et en santé publique) quand on a besoin d'eux pour mettre de l'ordre dans tout cela? Pour ramener le gros bon sens? Eh bien, certains sont en train de l'opérer, pour lui couper l'appétit.