Pratiquement chaque été, depuis de nombreuses années, je passe par Provincetown, adorable ancien bourg de pêcheurs situé tout au bout de Cape Cod et adopté comme on le sait bien, depuis plusieurs décennies maintenant, par la communauté gaie de la côte est américaine.

Comme «village», difficile de trouver plus gai.





La dernière fois que j'y suis allée, on célébrait la «bear week», en l'honneur de ceux qui refusent le culte du corps hyper musclé et épilé en faveur des rondeurs bien poilues. La fois d'avant j'étais tombée sur la semaine des familles, avec des jeunes couples d'hommes hyper tendance, poussant en Bugaboo des chérubins l'air tout droit sortis d'un catalogue de vêtements scandinaves, le tout devant chez Relish, casse-croûte où l'on servait des cupcakes pastel avant même que Sex and the City ne les remette au goût du jour.

Vous voyez le style, à la fois chic et cool à mort.

«On n'est pas tous comme ça», se plaisent à me répéter mes amis gais, qui tiennent à rappeler qu'ils ne sont pas unanimement avant-gardistes à la new-yorkaise et toujours à la fine pointe de la tendance et du bon goût ultra-contemporain. Sauf que même si je sais que la communauté est aussi variée et diverse que la société au grand complet, j'ai de la difficulté à me sortir ce stéréotype du crâne. Il faut dire que j'ai été ado à cette époque où les gars straight, barbus, portaient le cheveu gras et la botte Kodiak tandis que mes amis gais, eux, sentaient bon et savaient parler de Cocteau et de Saint Laurent (en écoutant, comme moi, Madonna plutôt que ACDC). Ça marque.

À Paris, dans le Marais, qui est devenu depuis les années 60 le quartier gai de la capitale parisienne, cette facette de l'identité gaie est bien exprimée et mise en valeur par des boutiques ultra-contemporaines, boîtes modernes, restos et compagnie. Ces rues de la capitale française, explique le sociologue français Colin Giraud, joint récemment à Lyon où il termine son doctorat sur les quartiers gais de Montréal et Paris, sont clairement passées par le processus de «gaytrification». Cette expression combinant le mot «gay» (avec un y, à la française) et le mot anglais «gentrification» parle de rénovation, de réparations, d'amélioration mais aussi de hausse générale des prix dans des quartiers investis et embellis par la communauté gaie.

À Montréal, cette «gaytrification» du Village aussi s'est faite, mais différemment. Ou plutôt, ne s'est pas faite complètement. En compilant ses statistiques sur ces rues de Montréal, M. Giraud s'est rendu compte que le quartier est une sorte de damier socioéconomique, où les pâtés de maisons à faibles revenus un peu amochés côtoient les rues cossues et rénovées.

On voit d'ailleurs, en allant se balader rue Sainte-Catherine, piétonne pour tout l'été dans ce secteur de Montréal, que le tissu urbain est mixte. Gais et hétéros se côtoient, jeunes sans-abri et professionnels friqués, familles en poussette et jeunes adultes en goguette...

Certains croient que le quartier a changé et que c'est uniquement dans les dernières années qu'il est devenu de moins en moins typiquement gai. Mais en fait, il ne l'a jamais été totalement. La communauté s'est installée solidement avec des résidants, des commerces mais aussi des infrastructures gaies (associations, clubs, services, etc.) qui lui donnent une vie gaie solide et encore nécessaire. Mais la réalité socioéconomique mixte, sous-jacente depuis le départ, n'est jamais disparue.

Bonne chose ? Probablement.

C'est peut-être décevant pour les gais BCBG-cool dont je parlais plus tôt, qui ne s'y retrouvent pas totalement. D'ailleurs, Pierre Bellerose, de Tourisme Montréal, constate que de plus en plus de touristes gais qui viennent maintenant à Montréal sortent du quartier pour inclure d'autres zones de la ville dans leur visite. Après tout, ils voient bien qu'à Montréal, comme dans les autres grandes villes libérales nord-américaines, ils sont acceptés partout et que les boutiques et les institutions intéressantes, tenues ou non par des gais, sont dans plusieurs quartiers.

Mais le Village, tel qu'il est, comprenant des buveurs de grosses bières et de nombreux appartements abordables, garde sa raison d'être. «Il est peut-être moins important pour certains gais, professionnels, diplômés, avec de bons revenus, je dirais aussi la génération des 35 à 50 ans, qui peuvent très bien s'installer ailleurs, dans des quartiers plus embourgeoisés», explique M. Giraud. Mais pour les jeunes arrivant de milieux où ils sont moins bien acceptés ou alors pour les plus âgés, ceux qui ont vécu leur homosexualité à une époque où c'était encore tabou, le sens très communautaire du quartier joue toujours un rôle important. D'ailleurs, note M. Giraud, et c'est la particularité du Village montréalais, le quartier gai est bien plus qu'une série de commerces de bon goût et d'appartements bien rénovés.

Il a une vraie vie collective, gaie.