Ce n'est pas pour me vanter, mais j'adore le sel.

S'il y a quelque chose qui remplit mon garde-manger, à part les boîtes de sardines - un autre dada -, ce sont bien les pots de sel, dont bon nombre reçus en cadeau.

Il y a du sel marin à gros grains, tout simple, pour lancer dans l'eau des pâtes. Du fin et craquant pour terminer une salade de tomates (en ce moment, c'est tout ce qu'il leur faut). Il y en a du rose de l'Himalaya, du noir d'Hawaii, il y a de la fleur de sel du Portugal, de Guérande ou de l'île de Ré. J'ai même du halen môn (si je comprends bien, ça veut dire «sel de mer» en gallois) costaud et charmant, surtout la version fumée.

Je vous le dis, j'en ai beaucoup, probablement parce que tous ceux qui m'en ont offert ont remarqué à quel point j'aime saler.

Le sel est mon ami. Il survolte les plats, souligne les saveurs. Je n'ai aucun problème à en ajouter dans mon assiette s'il en manque, et à le faire devant tout le monde, malgré les regards souvent désapprobateurs. «Quoi, tu sales?

- Eh oui, je sale.

- Mais c'est pas bon pour la santé.»

Pas vrai. Ce n'est pas vrai que ce n'est pas bon. C'est même important pour la santé d'avoir un peu de sel dans le corps. Sauf que oui, c'est sûr, ce n'est pas bon quand on en mange trop. Comme tant d'autres choses.

Mais est-ce que j'en mange trop?

Aucune idée. Tout ce que je sais, c'est que j'aime croire que je mange peu d'aliments industriels, alors que le vrai sel de trop, c'est là qu'il se cache. Les recherches montrent en effet que 75%, voire 90% du sel consommé par le Canadien moyen provient de produits transformés.

Ajouter du sel sur un filet de poisson? Ce n'est rien. Même chose pour le sel sur les concombres que je donne à mes enfants, malgré, là encore, le festival de sourcils froncés en total désaccord.

Par contre, charcuteries, potages en conserve, plats surgelés, craquelins et desserts sucrés industriels... Il est là, le sel. On le goûte à fond. Même le fromage cottage est visé. Et on ne parle pas, évidemment, de la pizza toute faite, de la sauce à spaghettis en pot industrielle, des chips! Parfois, je trouve même que certaines crèmes glacées en pot goûtent trop salé. Les biscuits au chocolat aussi...

Ce sel est un vrai problème puisque, si les Canadiens mangent en moyenne 3400 mg de sodium par jour alors qu'ils devraient en manger 1500 mg, ce n'est pas parce qu'ils vident leur salière sur leur salade. Avez-vous vu la journée préparée par ma collègue Stéphanie Bérubé en page trois? Plus de 5000 mg pour trois repas quand même ordinaires. Aïe!

Comme vous le savez, je ne suis pas exactement une fanatique de la soi-disant alimentation «santé», concept flou à mort, mais ces chiffres sur notre consommation de sel, j'avoue, sont aberrants. Surtout que ce sel industriel est là souvent pour donner du goût à des choses qui n'en ont pas. Prenez le bouillon en poudre, par exemple. Pourquoi doit-il contenir autant de sel? Ou plutôt pourquoi un bouillon maison (chose simplissime à faire, soit dit en passant) n'a pas à crouler sous le sel pour être savoureux?

Le sel multiplie les saveurs ténues qui flottent, à peine sous-jacentes, dans les aliments transformés industriellement, tentant désespérément de leur donner un peu de saveur, du punch, une fausse personnalité.

Tout ça pour dire qu'il faut probablement se réjouir de l'accueil favorable que l'industrie a réservé aux recommandations émises hier par le groupe de travail sur la réduction du sodium, et qui visent à remettre les salières sur le droit chemin. Même la société Campbell, reine de la soupe en boîte, a publié un communiqué pour dire qu'elle était partante. Des associations de restaurateurs et de transformateurs aussi. La ministre conservatrice de la Santé a emboîté le pas. Une unanimité presque surprenante qui devrait nous donner, tranquillement, des produits de moins en moins salés.

Il faudra toutefois suivre méticuleusement ce qui arrive maintenant. Lire les étiquettes de près, poser des questions. Car je ne sais pas si vous avez remarqué ce qui se passe avec les gras trans, eux aussi honnis et fuis de plus en plus, mais ce n'est pas parce qu'un fabricant d'aliments transformés retire un ingrédient néfaste de ses produits que tout devient idéal. Ces gras sont en effet souvent remplacés par d'autres gras eux aussi problématiques, comme la très saturée huile de palme ou alors ces gras modifiés appelés interesterified en anglais, dont on découvre tranquillement les mauvais côtés.

Qu'utilisera-t-on pour remplacer le sel, autant pour son rôle de rehausseur de goût que pour remplacer ses vertus d'agent de conservation?

Soyons vigilants.