L'idée qu'une femme puisse monter à bord d'un avion sans que son identité ait été dûment vérifiée est inquiétante. Soit.

Mais y a-t-il assez d'information dans la fameuse vidéo pour nous indiquer sans l'ombre d'un doute que ce fut le cas, à la mi-juillet, à l'aéroport Montréal-Trudeau?

Ça, c'est loin d'être clair.

Mise en ligne il y a une quinzaine de jours, la vidéo devant laquelle tout le monde s'interroge et s'exclame, et qui pouvait encore hier être aisément visionnée sur le site de partage YouTube, ne nous montre en effet pas grand-chose.

Tournée par un internaute qui se présente comme un camionneur britannique de 52 ans, elle est montée, coupée, entrelacée de commentaires, filmée serré. Tout ce qu'on y voit, ce sont des femmes voilées qui traversent l'écran sans que l'on sache précisément où elles vont et sans que l'on voie nettement jusqu'à quel point leur visage est couvert.

Le tout, toutefois, se passe dans un contexte qui ressemble effectivement à une zone de contrôle de sécurité dans un aéroport. On aperçoit aussi un homme, de dos surtout. Le tout dure 45 secondes, y compris la projection des commentaires très éditoriaux, scandalisés, du vidéaste amateur.

Peut-être qu'effectivement des femmes au visage couvert ont traversé, au moment du tournage de cette vidéo, le contrôle de sécurité de Trudeau sans suffisamment de vérification. Peut-être aussi que leur identité avait été confirmée ailleurs, autrement, à un autre moment. Peut-être que bien des choses se sont aussi passées entre les coupes. Le document mis en ligne nous laisse avec beaucoup de points d'interrogation.

En fait, il est tellement imprécis dans ce qu'il est supposé illustrer qu'il est fort étonnant que pas un mais deux ministres conservateurs, d'abord le ministre fédéral des Transports, John Baird, qui a demandé une enquête, et ensuite le ministre fédéral de l'Immigration, Jason Kenney, y aient réagi si promptement, depuis le week-end, sans évoquer la possibilité d'un malentendu.

Où étaient les nuances, les mises en garde, les «attendons de voir» habituels des politiques quand se présente un incident aussi délicat? Pratiquement introuvables. On aurait presque dit que la diffusion de la vidéo, ou plutôt l'attention portée à cette vidéo, qui était en ligne depuis deux semaines avant que certains médias en parlent, faisait bien leur affaire...

Cette attitude des ministres prêts à dénoncer les pratiques aéroportuaires est inquiétante car, s'il y a un sujet qui demande nuance et subtilité, c'est bien celui-là.

Avez-vous envie de vivre dans un pays où les musulmanes voilées dans les aéroports sont regardées comme des resquilleuses de contrôle de sécurité, avec en toile de fond un gouvernement qui nous dit qu'on a raison d'être suspicieux? Pas moi.

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Il est important que l'identité de tout le monde soit vérifiée adéquatement dans les aéroports, c'est clair. Et si les ministres savent des choses que l'on ne sait pas ou que l'on ne voit pas sur les images tournées qui confirment qu'il y a eu véritablement un grave manquement aux contrôles de Trudeau ce jour-là, qu'ils nous le disent et que l'on s'inquiète alors collectivement.

Car il est crucial que le port du voile ou de tout autre symbole religieux ostentatoire ne soit pas déstabilisant pour ceux qui sont chargés d'effectuer ces contrôles. Et qu'ils puissent bien les faire.

Aussi, on peut et on doit, comme société, envoyer des messages clairs aux organismes politiques religieux qui tiennent à faire accepter leur vision inégalitaire des rapports hommes-femmes et les symboles qui plantent concrètement cette vision dans le quotidien. Il est important que la tolérance envers la liberté religieuse ne soit pas déclinée au détriment d'autres libertés fondamentales garanties par les chartes, notamment le droit à l'égalité entre hommes et femmes.

Cela étant dit, il ne faut pas pour autant tomber dans la chasse aux sorcières. On a le devoir de respecter les personnes individuelles qui se retrouvent, volontairement ou malgré elles, liées à ces symboles religieux controversés.

De toute évidence, les conservateurs ont envie d'être perçus comme des leaders qui agissent concrètement pour protéger les Canadiens contre les terroristes. Mais leur empressement à faire tout un plat avec cette vidéo approximative et, pour montrer leur force, à viser les femmes voilées est incroyablement petit.