L'école commence dans deux semaines. La nouvelle ministre de l'Éducation, Line Beauchamp, vient à peine d'être nommée. Tant du côté des profs, des commissions scolaires que du Conseil supérieur de l'éducation, tout le monde semble s'entendre pour dire qu'il n'y a pas urgence de changer la formule des bulletins scolaires et qu'on gagnerait tous à prendre le temps de bien faire les choses.

Attendons.

La nouveauté de la ministre est une raison tout à fait valable pour appuyer sur «pause». Et, à ce que je sache, il n'y a pas de rébellion en ébullition dans les chaumières ni de parents prêts à descendre dans la rue pour demander à tout prix de nouveaux bulletins maintenant.

Je soupçonne même plusieurs parents d'être actuellement en train de hocher la tête, découragés.

Car ce dossier de la réforme de l'éducation s'enlise.

À force de faire marche avant puis marche arrière puis marche un peu de côté avant de faire demi-tour puis de repartir, on ne sait plus trop où on s'en va tous.

Peut-être devrions-nous juste arrêter un peu, regarder les étoiles filantes et faire quelques voeux.

Car honnêtement, au point où on en est, il est difficile de penser à un plan rationnel clair, n'impliquant aucune pensée magique, qui pourrait nous sortir rapidement de l'impasse dans laquelle nous sommes embourbés.

Aujourd'hui, on peut bien parler de bulletin, mais c'est encore et toujours l'ensemble du système d'éducation qui est concerné. On ne peut parler de bulletins sans parler de programme, sans parler de profs, sans parler de ressources...

Pourquoi veut-on changer ces carnets d'évaluation? Pour qu'on ait tous une idée plus claire de la progression (ou des blocages) de nos enfants. Excellente idée.

Sauf que la progression ne peut plus se mesurer comme avant parce que l'éducation ne se fait plus comme avant. Maintenant, on fait des «projets» qui sont censés combiner toutes sortes d'«apprentissages de compétences».

Peut-on donner une note chiffrée, comme jadis, à une compétence? Il est facile de voir comment on note une dictée ou un contrôle.

Mais quand arrivent des projets avec présentation devant la classe, où élocution, écriture et recherche côtoient des notions aussi intangibles que l'intégration au groupe et le leadership, on commence par où?

On peut bien changer les bulletins, mais n'est-ce pas qu'un morceau du puzzle?

Autre question: pourquoi les parents veulent-ils tant qu'on leur donne des bulletins clairs et faciles à comprendre?

Pour les rassurer sur la progression de leur enfant.

Mais est-ce un bulletin clair qu'il faut pour cela ou un bon prof qui enseigne un bon programme et inspire confiance et respect?

Si la réforme n'avait pas ébranlé notre foi en notre système d'éducation, si la médiocrité de certains professeurs et gestionnaires ne profitait pas d'une acceptation benoîte trop généralisée, si les ressources professionnelles nécessaires étaient mises en place pour mettre toutes les chances du côté des écoliers et ainsi rassurer les parents sur la qualité du temps passé à l'école, serions-nous en train de parler des bulletins?

Il y a quelque temps, un de mes enfants est revenu de l'école en m'annonçant, tout fier, qu'il allait faire des résumés d'articles trouvés dans les journaux. Peu de temps après, l'enfant en question revient à la maison, m'annonçant que le premier article avait été résumé: un papier tiré d'un tabloïd gratuit.

À la réunion de parents, je prends la maîtresse à part. «Vous savez, madame, lui ai-je expliqué, je suis journaliste et donc bien placée pour vous le dire: par définition, les articles de nouvelles dans les journaux sont écrits en quatrième vitesse. Est-ce vraiment avec ce matériel que vous voulez enseigner l'écriture, la grammaire, l'orthographe?»

Savez-vous ce qu'elle m'a répondu?

«Je prends ce que j'ai, et les journaux que j'apporte aux enfants sont gratuits, on les donne dans le métro. Si c'est Le Devoir que vous voulez qu'ils lisent, oubliez ça. Êtes-vous capable, vous, de lire un de leurs articles jusqu'à la fin? Pas moi.»

Des anecdotes désespérantes comme celle-là, j'en ai une tonne. Il y a aussi la fois où la prof de sciences nous a dit que l'orthographe pouvait brimer la démarche scientifique des enfants, ou encore ce directeur qui nous a accueillis à la rentrée en parlant de «la grosse horaire» de la journée.

Moi, quand on me parle de progression des enfants à l'école, ce n'est pas aux mesures des bulletins que je pense. C'est à ce risque constant, omniprésent, terrifiant, de tomber sur des enseignants qui ne les feront jamais avancer.