Ils annonçaient de la pluie et même des orages violents. Un truc comme 80% de risque de précipitations. Pas exactement encourageant. On a donc glissé dans le panier à pique-nique des ponchos en cellophane, quelque part entre le gaspacho et les fromages. Et on est partis. Empilés dans la voiture avec les tables pliantes, les chaises, et nos vêtements blancs qui nous donnaient des airs non pas de dandy mais de tennismen égarés, prêts à essuyer la moindre tache.

Quelques heures plus tard, on était littéralement au milieu de la rue du Square Victoria, à danser sur les Black Eyed Peas et Barry White, sous les étoiles.

Entre les deux, un bus, un secret, aucune pluie, un repas à la bougie et des images magnifiques d'une ville remplie de feux de Bengale et de fontaines, transformée le temps d'une soirée d'été en gigantesque «garden-party».

C'était la seconde fois que se tenait, jeudi soir, le Dîner en blanc de Montréal. L'événement annuel a été lancé à Paris, il y a une vingtaine d'années, et consiste à regrouper des centaines de gens, tous vêtus de blanc de la tête aux pieds, pour les emmener en pique-nique urbain dans un lieu tenu secret jusqu'à la dernière seconde.

À Paris, pour participer, il faut être invité. Ici, le processus demeure ouvert, avec priorité aux pique-niqueurs de l'année précédente.

Les règles pour être de la fête sont strictes. D'abord, le blanc est obligatoire. Même pour le panier à pique-nique, les chaises, la vaisselle... Les tables doivent être d'un certain format. Les nappes sont essentielles. Bref, il faut embarquer dans le projet à fond, car le tout demande pas mal d'organisation, ce qui fait qu'en chemin, on râle et on se demande plusieurs fois si le tout en vaut la peine.

Et puis arrive la soirée.

Et là on comprend. On comprend que tout le chichi est nécessaire pour créer ce moment, un joli pique-nique, certes, mais surtout cet instant d'appropriation de l'espace public par des gens sans histoire. Cette fois, on ne descend pas dans la rue pour une nécessaire manifestation politique. Pour hurler contre une aberration ou demander l'essentiel.

On descend dans la rue pour se poser dans la ville, endimanchés comme jadis les causeurs sur le parvis de l'église.

Prix de l'inscription: 29$, tunique blanche de chez Loblaws pour aller avec mes vieux pantalons blancs: 29$ aussi. S'asseoir pour partager un tartare avec des amis au milieu du trafic: ça n'a pas de prix.

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Évidemment, il y a des râleurs qui rouspètent, cherchent noise et ne comprennent rien. Le plus grand malentendu? «Des boomers incapables de s'amuser sans qu'on les regarde», ai-je entendu.

Il y avait bien quelques membres de la génération du baby-boom à la fête. Mais l'événement n'a rien à voir avec leur culture, leur jeunesse revendicatrice, leurs marches contre la guerre, leur Woodstock. Ce n'est pas non plus celui de leurs enfants politisés, ces membres de la génération «écho» pour reprendre l'expression de l'auteur David K. Foot, qui lisent Naomi Klein et dérangent les sommets économiques.

À chaque génération son style.

Ce pique-nique ouvert à tous a surtout 30 ou 40 ans. Les femmes enceintes s'y promènent dans leurs jolies robes, tandis qu'à la table d'à côté, on s'échange des recettes de vichyssoise aux légumes bio. La foule ressemble probablement à celle qui utilise les Bixi, qui a signé la pétition pro-poule, qui fréquente les marchés fermiers et qui rêve de se construire une petite maison à la campagne avec un toit vert, en matériaux recyclés.

À chacun ses revendications, sa façon de faire avancer le monde. Parfois on crie. Parfois on mange. Au Dîner en blanc, on insiste pour prendre le temps de s'arrêter, histoire de regarder la ville passer, un pique-nique à la fois.

À l'an prochain

À l'an prochain, le Dîner en blanc. À l'an prochain aussi, le nouveau bulletin scolaire retapé du ministère. Nouvellement arrivée en poste, la ministre de l'Éducation, Line Beauchamp, trouve que mettre en place le bulletin unique et uniforme dès cette année, tel que promis par sa prédécesseure, aurait été précipité. Hier, elle a donc annoncé l'évidence: il faut attendre un an et revenir avec un projet plus au point, tout en donnant aux enseignants le temps de se préparer.

Je ne suis vraiment pas certaine qu'en 12 mois, Mme Beauchamp réussira à trouver une solution miraculeuse pour se sortir de ce bourbier. Le fond du problème, ce n'est pas tant la mesure du progrès des écoliers que ce qu'on mesure. C'est toute cette matière «réformée» qui laisse tant de gens perplexes et qui est en grande partie incompatible avec les attentes de parents voulant essentiellement savoir si leur enfant réussit ou pas.

L'autre épreuve, pour la ministre, sera cette rencontre avec un univers pédagogique, à l'intérieur même du monde de l'éducation - certains fonctionnaires, administrateurs et enseignants - qui a réussi à édifier tout un langage, toute une réflexion poussée et souvent impressionnante, pour justifier l'enseignement approximatif.

Or que fait-on avec la mesure, dans un monde d'approximation?