J'ai 36 crayons noirs à tailler, une douzaine de livres à recouvrir de plastique autocollant - exercice hautement périlleux -, 48 crayons de couleur à étiqueter, sans parler des feutres... La rentrée scolaire, aujourd'hui pour des dizaines de milliers d'enfants, n'est pas qu'une date sur le calendrier ou un rite de passage crucial pour petits et grands. C'est surtout, surtout, vu d'ici, un job à temps plein.

Visites en librairie pour trouver les livres manquants, tournée de papeteries (car tout le matériel nécessaire ne se déniche pas en un seul endroit, évidemment), coupe de cheveux pour tout le monde, chaussettes neuves aussi, thermos à acheter, gourdes à repérer, ménage à fond de l'armoire des boîtes à lunch et du tiroir à «Tupperware», chasse aux couvercles, réorganisation des chambres, histoire de retrouver une surface plane, libre de cossins, où se feront les devoirs.

Visite à l'organisme de charité du quartier qui recueille les objets d'occasion (qui dit ménage, dit dons, n'est-ce pas?), appels aux copines pour savoir qui peut ramener qui et quand tant que le système n'est pas solidement en place.

L'an prochain, je prends congé.

Et aujourd'hui, ne me cherchez pas au bureau. J'en ai un qui commence à 9h, un autre à 9h30, mais seulement pour deux heures, un autre qui ne va à l'école que l'après-midi...

Est-ce que les choses ont toujours été aussi compliquées?

On est censé faire comment, exactement, quand on travaille à temps plus que plein avec un horaire strict, pour trouver les moyens de tout faire?

Peut-être suis-je simplement trop désorganisée...

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La rentrée scolaire est clairement un de ces rituels annuels qui font sauter les engrenages normalement bien huilés de la réalité quotidienne moderne des parents au travail.

Peut-on nous blâmer?

Qui a envie de commencer à se préparer en juin quand les écoles, structurées, envoient leurs listes de matériel pour la rentrée alors que les parents, eux, commencent à souffler, en vacances de boîtes à lunch, de parasco et de devoirs? Et qui a envie de se préparer en août, quand on a si peu de vacances et si peu d'été? Donc shopping remis à la dernière minute. Déléguer la tâche à d'autres? Qui peut se le permettre et qui veut manquer la magie de ce rite, de ce nouveau départ?

Et puis arrive la date cruciale, et il faut être là, en personne. Ce n'est quand même pas le chauffeur d'autobus qui doit s'assurer que tout est bien lancé, que le petit est dans le même groupe qu'au moins un ami, que la nouvelle maîtresse - apparemment, peu de maîtres encore cette année - est chouette. On veut échanger quelques mots pour voir à qui on aura affaire durant l'année...

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La rentrée, ce n'est pas une date, c'est un paradoxe.

On a beau avoir un bureau qui s'attend à nous voir, on veut être présent, sans pouvoir y être, sans avoir beaucoup de contrôle non plus, car généralement, même si la prof est antipathique ou, au secondaire, l'horaire trop décousu, les directrices se gardent jalousement le droit de refuser tout accommodement.

Comme parent, on aimerait que tout soit parfait, même si on sait très bien que c'est impossible. On apporte nos exigences dans un univers qui nous implore de lui faire confiance. Souvent les yeux fermés. Et souvent en acceptant difficilement les remises en question.

Car si la rentrée, c'est la magie du renouveau et des retrouvailles, c'est aussi un tête-à-tête terrifiant avec une institution, avec une machine pas toujours subtile.

Mon pire souvenir de la rentrée? Celle de ma cinquième secondaire. Le professeur titulaire avait décidé de me mettre dans le groupe de math le moins fort. «Puisque vous changez d'école, puisque les filles sont moins bonnes en math...» Oh oui. Il avait dit ça. C'était pourtant ma meilleure matière.

Autre terrible souvenir, cette rentrée où un de mes enfants a été isolé de son groupe d'amies, toutes réunies dans une autre classe. Si vous aviez vu l'intransigeance obtuse de la directrice... Vous savez, quand ces gens qui ont tant d'impact sur la vie des enfants ne voient plus la cruauté de leurs décisions tellement ils se sont obligés à être stricts? Je vous souhaite que votre rentrée soit meilleure, comme toutes ces rentrées où j'ai vu mes enfants heureux.

Heureux de retrouver leurs copains, heureux de plonger dans un univers rempli de livres colorés. Heureux de rencontrer de nouveaux visages, souriants, allumés, intelligents, et des tonnes de défis clairs et d'horizons inépuisables.