Un an après la campagne de vaccination massive contre le virus A (H1N1), les responsables de la santé publique du Québec ont choisi de changer leur fusil d'épaule et d'agir en finesse plutôt qu'en quantité.

Comme l'explique ma collègue Sara Champagne, ils ont en effet décidé que l'immunisation contre cette nouvelle sorte de grippe serait intégrée au vaccin traditionnel contre la grippe saisonnière. Ainsi, seulement les personnes jugées à risque pour l'influenza, peu importe quelle sorte, seront vaccinées. Pour tenir compte de l'expérience de l'an dernier, on ajoute toutefois deux nouveaux groupes de personnes estimées fragiles, qui se sont montrées vulnérables durant la pandémie de l'an dernier: les femmes au deuxième ou au troisième trimestre d'une grossesse et les personnes souffrant d'embonpoint très grave.

Bref, fini la vaccination tous azimuts, sans nuance, sans précision, comme en 2009.

Ouf.

On laisse tomber les bazookas antivirus et on sort les seringues précises qui vont chercher uniquement les cas délicats: personnes âgées, jeunes enfants, immuno-déprimés, etc. Le gros bon sens est de retour.

Bravo.

Et il était temps, car plus on regarde les bilans mondiaux, plus on réalise que notre campagne coûteuse et générale était en fait exagérée.

La France, qu'on peut citer en contre-exemple, a en effet adopté une attitude totalement différente en laissant ses citoyens choisir eux-mêmes s'ils voulaient se faire vacciner, ce qui fait que seulement 10% de la population l'a été. Et y avez-vous observé une déferlante de décès évitables?

Non.

Ce qu'on voit plutôt en Europe, en ce moment, ce sont des interrogations au sujet des vaccins et de leurs effets secondaires.

* * *

Évidemment, on ne savait pas, l'an dernier, ce qui arriverait en France quand les décisions en sens inverse ont été prises des deux côtés de l'Atlantique. Il fallait choisir d'aller dans un sens ou dans l'autre sans avoir toutes les données que l'on a aujourd'hui. On a opté ici pour une coûteuse protection généralisée. Seulement aujourd'hui, avec le recul, peut-on la dire probablement démesurée.

Le Dr Michel Couillard, coordonnateur scientifique du Laboratoire de santé publique du Québec, a dit en entrevue à ma collègue Sara que la dernière année s'est un peu passée sur le thème du vieil adage «quoi que tu fasses, tu auras toujours tort». C'est vrai. On aurait probablement aussi critiqué les autorités de la santé publique si elles n'avaient pas agi comme elles l'ont fait.

Cela n'empêche personne, toutefois, d'avoir l'humilité d'admettre aujourd'hui, collectivement, qu'il y a eu un élément de panique dans notre réaction.

Le gros bon sens, admettons-le, a parfois été écarté.

Et bien des appels au calme qui auraient dû être lancés ne l'ont jamais été. Appels au calme et nuances, aussi.

Juste un exemple. Pourquoi, quand on a invité tout le monde à se faire vacciner, n'a-t-on pas tenu compte du fait qu'au moment du lancement de la campagne d'immunisation, à l'automne, une partie de la population avait déjà eu la grippe en question, s'en était sortie et était donc probablement déjà protégée?

Dès le printemps 2009, la grippe était déjà très présente, au point où plusieurs hôpitaux ont cessé de tester les cas systématiquement et sont passés du mode «identification et prévention à tout prix de la propagation» au mode «gestion générale de la maladie et des complications possibles».

Même sans avoir été testés officiellement, ceux qui avaient eu la grippe en plein mois de juin 2009 pouvaient tenir pour acquis que, d'un point de vue statistique, leur risque d'avoir été contaminés par le virus en question était élevé, ainsi que leurs chances d'être maintenant immunisés. (C'était, à un moment, la seule sorte de grippe en circulation.) Statistiquement, leur risque d'attraper la maladie et de souffrir de complications était donc rendu vraiment très faible.

Était-ce nécessaire de faire vacciner tous ces gens? N'aurait-il pas été nécessaire de reconnaître leur immunité et ainsi de contribuer à baisser la tension?

L'argent investi dans la quantité n'aurait-il pas pu être dépensé différemment dans une intervention plus ciblée, plus adaptée, modulée?

La santé publique, quand on parle d'épidémie, est un paquebot, pas un hors-bord agile, a-t-on dit souvent. Et un paquebot qui fonctionne avec un radar embrouillé, pour reprendre l'expression d'un épidémiologiste interviewé en janvier.

Aujourd'hui, on voit plus clair. Et la disproportion des mesures prises en 2009 est évidente.

Et ça aussi, il faudra le gérer. Avec doigté.

Car en réagissant aussi fortement devant une maladie qui n'a jamais été aussi grave que prévu, les autorités de la santé publique ont perdu, malheureusement, un peu de leur force d'impact auprès du public. Et le cynisme, lui, s'est trouvé de nouveaux clients.

Comme dans la bonne vieille histoire du gars qui criait au loup trop souvent.