Si tout se passe comme prévu par la loi SB 1520 signée par le gouverneur Schwarzenegger, d'ici 15 mois, on ne pourra plus élever ou commercialiser le foie gras en Californie.



Adoptée en 2004, cette mesure semblait bien lointaine à l'époque. Mais voilà que l'échéance arrive à une vitesse folle, alors que se multiplient aussi les efforts par les groupes militants antifoie gras pour faire la même chose dans l'État de New York.



L'abat de luxe n'a pas bonne presse chez une certaine gauche américaine. Et cela n'est pas une bonne nouvelle pour les producteurs québécois.

Nul ne le sait mieux qu'Ariane Daguin, madame foie gras, qui était de passage à Montréal la semaine dernière pour parler de son autobiographie, D'Artagnan à New York.

Gasconne de naissance et New-Yorkaise d'adoption, Mme Daguin est propriétaire et fondatrice d'une société, D'Artagnan, qui distribue du foie gras et une foule d'autres produits de boucherie de haute qualité sur le marché américain. Elle vend du foie gras produit dans la vallée de l'Hudson, mais aussi celui des Élevages du Périgord, établis au Québec. Et si elle commercialise les volailles ou le boeuf d'éleveurs américains non industriels travaillant dans le bio et le naturel, elle vend aussi le fameux porc québécois Gaspor de Saint-Canut.

«J'espère, explique-t-elle en entrevue, que les gens se souviendront de moi, si ce n'est que ma fille, en se disant: "Voilà quelqu'un qui a toujours essayé de bien faire les choses et, effectivement, elle les faisait bien."« Vendre des viandes bonnes, bien nées, bien élevées est le mandat qu'elle s'est donné. Et l'énergie qu'elle investit à être ainsi perfectionniste porte ses fruits chez les épicuriens.

Jean-Georges Vongerichten, grand chef new-yorkais, dit d'elle que depuis ses débuts, il y a 25 ans, elle a carrément changé le paysage gastronomique américain. Avant D'Artagnan, ni le public ni les chefs n'avaient accès à des produits d'une telle qualité, à des années-lumière de l'industriel américain.

Mme Daguin, vous le comprendrez, n'est donc pas du tout réfractaire aux mouvements militants qui demandent de meilleures conditions de vie pour les animaux de consommation. La poule en cage qui réussit à peine à bouger: très peu pour elle. Même chose pour ce boeuf industriel constamment visé par les rappels de produits pour cause d'E. coli et compagnie.

Mais il y a un front où elle entre en collision extrême avec la gauche végétalienne, et c'est celui du foie gras.

Là, elle fixe la limite.

Le foie gras, quand on est gourmande et quand on est gasconne, c'est sacré. Et c'est naturel, puisque les canards et les oies, oiseaux migrateurs, se gavent eux-mêmes quand ils ont de longues migrations.

Inutile de souligner à quel point elle n'est pas d'accord avec cette nouvelle loi californienne dont la mise en application arrive à grands pas.

«En Californie, il y a beaucoup de bonnes choses qui se passent, dit-elle, mais ils ne savent pas où s'arrêter.»

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Le problème avec cette bataille du foie gras que les Américains ne veulent pas lâcher et qui déborde ici - la mouvance militante qui a filmé et diffusé certains incidents chez des producteurs de foie gras québécois, il y a trois ans, est transfrontalière -, c'est qu'elle est facile. Trop facile. Il y a tout pour marquer des points aisément, sans faire d'effort. Il y a le luxe du produit, qui fait tout de suite grogner les antiélitistes. Il y a le regard émouvant des petits canards, pas mal plus mignons - comme le bébé phoque, d'ailleurs - que bien d'autres animaux maltraités. Il y a le fait que ce soit un produit français, ce qui va chercher la xénophobie des amateurs de freedom foies, vous savez cette expression inventée au moment de l'opposition de la France à la guerre en Irak, pour ne plus avoir à appeler des frites French fries.

Et il y a aussi, rappelle Mme Daguin, le fait que du foie, c'est un abat, catégorie d'aliment pas adorée d'emblée par les masses.

Mettez tous ces ingrédients ensemble et vous avez une cible hyper facile pour des militants qui veulent se donner l'impression d'être utiles à l'humanité. Et vous avez une bataille qui n'affectera que les rares amateurs, seuls devant l'absurdité de cette cause marginale qui ne mérite pas l'énergie déployée.

«Pourquoi on ne propose pas des interdictions pas mal plus importantes, sur les portions de Coke très grandes, par exemple, des choses qui contribuent réellement au diabète et qui tue des gens?», a récemment dit à cet égard la grande chef californienne Alice Waters dans le Wine Spectator.

En fait, bien d'autres causes vaudraient bien plus les efforts des proanimaux, en commençant par les espèces menacées que l'on mange encore, surtout du côté des océans. Sans parler de toutes ces viandes mal élevées, surexploitées. En a-t-on vraiment besoin?

«On mange beaucoup trop de viande», lance Mme Daguin, dont le travail est pourtant d'en vendre.

La bonne solution, dit-elle, est quelque part au milieu, dans la modération, les bons choix, y compris, parfois, un petit peu de foie gras.