«Au Québec, les filles ne savent pas ce qu'elles veulent. Ici, ce ne sont pas des féministes. Ici, elles aiment faire à manger et sont bonnes cuisinières. Et si tu leur demandes de t'attendre pendant que tu vas parler à ton ami, elles ne bougeront pas d'un poil.»

Et, dira aussi Patrick, le Québécois interviewé par mon collègue Hugo Meunier dans sa désespérément excellente série sur le tourisme sexuel en République dominicaine: «Pour 5700 pesos (environ 135$), tu peux avoir une fille pendant deux jours. La plus belle de la place.»

Décidément brillant, ce Patrick. Brillant comme toutes ces ordures qui partent en vacances pour acheter des relations sexuelles avec des mineures. Pour s'acheter le sentiment qu'ils sont remplis de pouvoir, virils. Pour s'acheter et se construire le sentiment d'être formidables sur les ruines du respect d'autrui.

Si quelqu'un pensait encore que c'était une invention romanesque à des milliers de lieues de chez nous, toutes ces histoires de tourisme sexuel, eh bien voilà. Hugo Meunier et le photographe Martin Tremblay ont clos la discussion.

La dégueulasserie est à notre porte, à quelques heures d'avion du Plateau, de Repentigny, de Greenfield Park.

Les gens qui font ces voyages sont probablement vos voisins, vos beaux-frères, votre patron. Peu nombreux, certes, mais trop nombreux quand même, descendants laïques et pleutres des curés dont on découvre aujourd'hui les sévices pédophiles.

Où se cachent-ils, dans notre voisinage?

Premier indice: ils préfèrent les femmes qui ne bougent pas, comme des chiens, quand on leur ordonne de rester immobiles.

* * *

Les histoires d'horreur racontées par Hugo et Martin donnent des frissons dans le dos. Lèvent le coeur. L'âge des victimes. Leurs histoires familiales, tristes à mourir. Les viols. Les bébés qui finissent toujours par aboutir dans le portrait comme des anges au milieu d'une porcherie. Tout est là, comme dans un mauvais rêve qu'on bloque en se disant que c'est exagéré. Que l'horreur n'a pas l'air de ça sur terre, quand même.

Avez-vous lu les paragraphes sur la table tournante?

La prostitution existe partout, direz-vous, mais le tableau est particulièrement horrifiant, obscène, surtout cette nonchalance ahurissante des clients canadiens. «C'est légal ici, légal!», a répété le même brillant Patrick aux journalistes.

Allô.

* * *

Je sais qu'il existe un certain discours féministe qui dit qu'il ne faut pas être contre la prostitution parce que nier aux femmes le droit de vendre leur corps, c'est souvent leur nier une ressource sur laquelle elles ont du pouvoir. On qualifie même parfois cette attitude anti-»travail du sexe» de paternaliste.

Eh bien! Je suis paternaliste. Ou maternaliste. Peu importe. Jamais je ne croirai que les femmes qui se livrent pour quelques pesos aux disgracieux Tabarnacos ont un quelconque pouvoir sur cette situation. Mis à part de rares exceptions qui existent mais ne justifient pour autant aucun laxisme, la prostitution profite d'abord et avant tout aux proxénètes et aux officiels de tout ordre qui les protègent en échange de rémunérations dodues.

D'ailleurs, ce sont eux qu'il faut punir et traquer, les proxénètes, les clients, les complices. Pas les femmes prises au piège.

Et ce ne sont certainement pas non plus les femmes canadiennes qu'il faut commencer à blâmer pour les méfaits de leurs compatriotes touristes à l'étranger. «Le début du féminisme a mis à mal l'amour-propre de ces hommes», affirme une militante pour la défense des droits des enfants victimes d'exploitation sexuelle, citée dans un des articles.

Une telle tentative d'explication est absurde.

L'essentiel du problème n'a rien à voir avec le mouvement pour l'égalité des Canadiennes, mais avec des fantasmes toxiques de personnes qui ont de sérieux et multiples problèmes.

Tant mieux si, grâce au féminisme, plus de Canadiennes sont maintenant protégées de leurs dérives insensées.

Reste maintenant à aider les autres femmes, au loin, aujourd'hui victimes de ces crimes.