Si tout le monde dans votre entourage vous trouve trop exigeante ou trop sévère envers vos enfants, si on vous donne l'impression d'être une sorte de tortionnaire parce que vous ne tolérez pas les fautes d'orthographe ni les heures gaspillées devant un jeu vidéo, lisez le nouveau livre de l'Américaine Amy Chua, Battle Hymn of The Tiger Mother.

Instantanément, vous vous sentirez beaucoup mieux.

Stricte? Vous voulez rire... Chua vous donnera l'impression d'être l'hôtesse d'un spa familial où tout le monde est dorloté dans la ouate avec extra câlins.

Paru au début du mois après la publication d'extraits provocateurs dans le Wall Street Journal, l'«hymne de guerre de la mère tigresse» fait fureur aux États-Unis. En racontant comment cette professeure de droit de la fameuse Université Yale, issue d'une famille de super-performants, s'y est prise pour élever deux virtuoses en musique, premières de classe par surcroît, il a déclenché une polémique sur l'éducation américaine.

Selon Mme Chua, la clé du succès est simple: il faut suivre les principes de l'éducation chinoise. C'est un terme généralisateur, tient-elle à préciser, car tous les Chinois ne suivent pas ces directives, de la même façon que bien des non-Chinois les embrassent. Mais cette approche à l'asiatique - commune à bien des immigrés et que reconnaîtront ceux de l'époque du «cours classique» - est le fil conducteur à ne jamais laisser tomber.

Et le tout se résume à peu près ainsi: l'adulte sait mieux que l'enfant ce qui est bon pour lui et ce qui assure son avenir. L'adulte ne doit donc pas avoir peur d'imposer à l'enfant une éducation de haut niveau, peu importe ce que le petit en pense. Aussi, l'enfant doit comprendre qu'on ne devient bon à quelque chose qu'en y mettant énormément de temps, ce qui n'est pas toujours amusant. Être excellent, en revanche, est hautement agréable, ce qui justifie tous les efforts pénibles.

Le propos, on le comprendra, ne laisse personne indifférent. Surtout après l'appel à l'effort lancé cette semaine à tous les Américains par le président Barack Obama, qui a carrément tapé sur le clou en rappelant que les Chinois, eux, s'échinaient à s'améliorer.

Les défenseurs de l'éducation stricte aiment l'approche de la mère tigre, évidemment. Tout le propos de Chua est de vanter la rigueur, le leadership parental, l'autorité et le refus de la mollesse devant les contestations juvéniles.

Mais les antistricts aiment aussi, sans l'avouer.

La sévérité atteint en effet dans ce livre des niveaux caricaturaux. Quoi de mieux pour réconforter ceux qui n'ont pas envie de passer des heures et des heures à faire réciter des tables de multiplication ou d'interminables poèmes de Victor Hugo appris par coeur alors que c'est si simple et relax de laisser les enfants devant Tactik ou une Xbox!

Construit presque comme un thriller, le livre de Chua se dévore. On sait qu'une crise arrivera tôt ou tard et que le plan pour l'éducation «à la chinoise» dure et efficace frappera un mur éventuellement, car on nous en avertit dès le début. Mais on ne sait pas quand, on ne sait pas quelle forme prendra le dérapage - on ne vous vendra pas le punch - et surtout, en chemin, on nous transporte dans le quotidien d'une mère d'une indignité totale, qui nous rejoint par l'autodérision.

Car oui, Chua est sévère à mort - au milieu d'une leçon de piano, elle envoie une de ses fillettes dehors par un froid sibérien, sans manteau, en espérant la faire fléchir. Non, elle ne tolère rien de moins que la perfection, tout le temps - elle rejette une carte d'anniversaire dessinée par sa cadette parce qu'elle la juge bâclée. Mais elle est aussi stricte et lucide envers elle-même. En plongeant dans ses obsessions, on reconnaît les nôtres et on apprend à mieux les accepter, voire à les embrasser. La mère indigne n'est pas dans son salon à boire du martini, elle est en train de se rendre folle en faisant deux heures de voiture pour emmener sa fille suivre une leçon de musique avec un prof célèbre et hors de prix. Le style est différent. L'égoïsme comparable. Et tout aussi excusable.

Le livre d'Amy Chua est caricatural. Elle-même le rend ainsi, volontairement. Quand elle dit que les percussions mènent à la drogue - ses enfants n'ont droit qu'au piano ou au violon - ou que sa fille lisait Sartre à 3 ans - No Exit, panneau de signalisation courant et aisément reconnaissable par un enfant, est aussi la traduction anglaise de Huis clos, pièce célèbre du philosophe -, elle blague. C'est clair.

Mais le fond du propos, soit que l'acceptation de tout et de rien, par les parents, au nom de la protection de l'estime de soi des enfants, arrive à une impasse, frappe juste.

Et si Mme Chua ne parle pas directement du problème du décrochage scolaire, on ne peut s'empêcher d'y penser en la lisant. Et de se demander s'il ne faut pas recommencer à inculquer aux jeunes, à la Chua, la capacité de supporter la rigueur. Une éducation sérieuse n'est pas toujours une partie de plaisir, soyons réalistes. Prépare-t-on assez nos jeunes à ses côtés déplaisants, mais essentiels? L'école doit-elle être plus cool pour amadouer les décrocheurs? Ou doit-elle, dès le départ, être d'une dureté réaliste et, éventuellement, salutaire?

Et doit-on construire l'ego de nos enfants en les félicitant pour le moindre soupir? Ou doit-on, au contraire, les former pour un monde rempli de concurrence et d'adversité, en leur faisant savoir tôt qu'on attend plus d'eux parce qu'ils sont capables de mieux?

Selon Amy Chua, c'est là qu'est la supériorité de l'éducation chinoise par rapport à l'éducation à l'occidentale. Dans ces rêves plus ambitieux pour des enfants dont on est convaincu qu'ils peuvent les atteindre.