Dans un monde idéal où l'argent coulerait à flots et où les projets d'aménagement urbain écologiquement et socialement intelligents circuleraient en abondance, soutenus autant par la société civile que par les promoteurs immobiliers, je serais probablement contre la construction résidentielle sur le terrain de Meadowbrook.

Comme plusieurs participants à la discussion organisée hier à McGill par le groupe Convercité au sujet de l'avenir de ces terres de l'ouest de Montréal, je m'inscrirais pour le rachat de la propriété par un regroupement public formé de Côte-Saint-Luc, Montréal-Ouest et Montréal, les trois villes limitrophes de ce qui est actuellement un terrain de golf. Et j'appuierais l'aménagement d'un parc futuriste conçu par des paysagistes urbains dignes d'un Olmsted version XXIe siècle.

Malheureusement, nous ne vivons pas dans un tel univers.

Nous sommes plutôt dans une métropole où les projets urbains issus d'une réflexion réellement complexe et profonde sur leurs enjeux sociaux, environnementaux et architecturaux sont rarissimes. L'argent? Il n'en tombe pas exactement du ciel. Pas plus que les promoteurs prêts à mettre de côté le profit à tout prix et les néo-manoirs en carton-pâte au profit de défis verts ambitieux d'habitude observés dans les communautés progressistes scandinaves ou californiennes.

C'est dans ce contexte qu'il faut se pencher sur le projet Petite-Rivière, mis de l'avant par le promoteur Groupe Pacific et piloté par les architectes de la firme L'OEuf, connue pour son expertise en matière de développement durable - ce sont les penseurs de Benny Farm.

Pourquoi Petite-Rivière? Parce qu'un des objectifs de cette initiative est de déterrer la petite rivière Saint-Pierre, un de ces cours d'eau montréalais canalisés et cachés, à une autre époque, au nom de l'urbanisation.

Le nouveau plan veut ramener l'onde à la lumière du jour et en tirer parti pour ponctuer un complexe résidentiel de 1500 unités construites dans un petit périmètre où on pourra vivre à pied. Commerces, bureaux, logements dans toutes sortes de gammes de prix, accès aux transports en commun, infrastructures de loisir... On veut ériger une sorte de village vert sans empreinte carbone ni déchets, et doté d'un système avant-gardiste de gestion des eaux. Le tout serait situé au milieu de la verdure, des arbres et de l'eau, caractéristiques d'aménagement d'habitude réservées aux banlieues.

Idyllique?

Sur papier, en tout cas, oui.

C'est pourquoi la plupart des opposants au projet - et il y en a qui sont éloquents et posés, en marge de ceux dont le style parfois très énergique me rappelait hier à McGill les réunions du Parti égalité dans les années 80 - sont les premiers à dire qu'il est fort intéressant. Sauf que, disent-ils, il est situé au mauvais endroit.

Les Amis de Meadowbrook - dont plusieurs sont de Côte-Saint-Luc et craignent le nouveau trafic automobile qui passerait chez eux - veulent en effet que le terrain devienne un parc.

Construire vert sur un espace vert n'est pas une bonne idée, disent-ils.

Selon eux, Montréal regorge de terrains bruns et gris qui pourraient accueillir aisément une telle initiative résidentielle. Profitons de la verdure de Meadowbrook pour doter cette partie de l'ouest de la métropole d'un grand espace nature vital, argumentent-ils. Un lieu de fraîcheur, de biodiversité, d'air propre.

Les prises de position des Amis de Meadowbrook ne datent pas d'hier. Le groupe a été fondé en 1989 et, dans les années 90, un premier projet de construction de style banlieusard, voire de «communauté clôturée» à l'américaine, avait déjà consolidé cette coalition de citoyens décidés à protéger ce terrain de l'urbanisation. Longtemps, la fondatrice du Centre canadien d'architecture, Phyllis Lambert, a milité du même côté qu'eux.

Hier, Mme Lambert était à la rencontre à McGill. Mais sa pensée sur le sujet a évolué. Elle n'appuie pas officiellement le nouveau projet de Petite-Rivière. Mais elle n'est plus du côté de ceux qui s'opposent totalement à toute construction. Le projet actuel, croit-elle, demande une nouvelle réflexion.

En fait, continue l'architecte, le rachat du terrain par le secteur public pour en faire un parc étant un scénario hautement improbable, il faut accepter d'étudier la possibilité de sacrifier une partie de la propriété pour permettre un projet de qualité qui inclut beaucoup d'espace vert - plus de la moitié de la superficie totale, selon les promoteurs.

Hier, de nombreux architectes étaient présents à McGill, non pas pour appuyer ou critiquer Petite-Rivière officiellement, mais pour parler des enjeux soulevés par le dossier. Parmi eux, on avait invité Cornelia Hahn Oberlander, une des architectes paysagistes les plus réputées du pays, qui travaille à de tels dossiers depuis plus de 50 ans sur la côte Ouest.

Selon Mme Hahn Oberlander, il y a un autre enjeu important à ne pas oublier dans la discussion: l'élan à donner à la construction durable.

Un tel projet, explique-t-elle, est de ceux qui peuvent donner l'exemple pour d'autres initiatives de demain du même type. «L'arrivée d'un nombre croissant de gens vers les villes nous oblige à réfléchir différemment à la ville. On ne veut pas que toutes ces personnes aillent s'installer ailleurs.» Pour l'environnement et la qualité de l'aménagement urbain, croit-elle, c'est ça le pire scénario.

Il faut donc montrer qu'il y a de nouvelles façons, différentes, de vivre en ville.

Et l'exercice de réflexion qui a été fait par les promoteurs et tous les acteurs du projet Petite-Rivière est selon elle exemplaire.

Protéger ce que nous avons déjà et stopper la construction banale font partie des défis à relever pour que Montréal ne devienne pas un grand stationnement parsemé de bâtiments vides de sens. Encourager les projets sérieux et réellement porteurs est l'autre versant de la démarche. Or, ces projets sont rares. Peut-on se permettre de les bloquer, de les décourager?

Société civile, administrateurs municipaux de tous ordres, élus - allô Montréal! - ouvrons les yeux pour voir les bons projets quand ils passent.