Dans sa liste annuelle des 50 femmes les plus influentes de la ville, le magazine Boston a choisi, au tout début de cette année, la chef et femme d'affaires Barbara Lynch. Pourquoi? «Parce que, écrit le magazine, elle transforme le tissu urbain de tous les quartiers où elle ouvre des restaurants.»

Barbara Lynch est chef. Mais elle est aussi restauratrice. En 12 ans, elle a ouvert 7 bars et restaurants un peu partout dans la ville, de Beacon Hill à Fort Point en passant par South Bay, en plus de gérer un traiteur, une école de cuisine et de se lancer maintenant dans des activités philanthropiques pour aider les jeunes à apprendre à cuisiner et à jardiner.

Née dans les HLM du sud de Boston, elle a grandi à la dure dans une famille monoparentale de sept enfants. La vie en ville, elle connaît. Il n'y a pas beaucoup de quartiers qui lui font peur. Ses restos, elle les pose où elle croit qu'il y a quelque chose à redécouvrir, et ça marche.

Évidemment, au début, il y a eu Beacon Hill, quartier huppé où elle a ouvert le No.9 Park en 1998. Mais ensuite, bonjour les nouveaux horizons. Elle a donc pris la direction de South End pour y lancer Butcher Shop et B&G Oyster Bar, qui sont maintenant au coeur de ce quartier retapé. Son dernier-né est un ensemble de trois lieux différents dans Fort Point, près de l'eau, près de cette zone nouvellement relancée où on trouve le musée pour enfants, le musée d'art contemporain et le centre des congrès. Dans le grand bâtiment ancien rénové, il y a deux restaurants: Sportello et Menton - qui fait beaucoup parler de lui - et un bar: Drink.

À Boston, Lynch n'est pas une femme-chef comme les autres. Comme Mario Batali à New York ou Wolfgang Puck à une autre époque à Los Angeles, elle est en train, par sa présence multiple, de forger une nouvelle identité culinaire pour sa ville.

«J'ai ouvert les restaurants dont Boston avait besoin, qui manquaient», explique cette invitée du festival Montréal en lumière rencontrée au Pullman, où elle cuisine ce soir et demain. «Notre ville grandit beaucoup, on est en pleine explosion, continue-t-elle. On essaie d'amener des jeunes en ville, de garder les gens en ville, d'avoir plus de congrès, d'améliorer la qualité de vie avec des pistes cyclables, etc. Boston avait donc aussi besoin d'autres restaurants.»

L'existence de lieux intéressants où manger et où se retrouver est en effet un élément capital de la vie urbaine. Prenez n'importe quel quartier en renaissance, mettez-y quelques restaurants sympathiques et vous lui donnerez tout de suite un pouvoir d'attraction que n'ont pas les zones où seules les résidences ont été restaurées. Les galeries d'art aident, les jolies boutiques aussi. Mais quand il y a un nouveau bar à huîtres, un bon café ou un bistro sympathique, c'est encore mieux.

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Actuellement, d'Austin à San Francisco en passant par Portland et même Los Angeles, les États-Unis, ce pays qui a fait pratiquement une religion, au siècle dernier, de totalement partager son aménagement urbain entre centres commerciaux et banlieues-dortoirs, ce pays-là, donc, redécouvre les vertus de la mixité.

Et c'est en participant à remélanger les environnements urbains que Mme Lynch entend collaborer à l'épanouissement de Boston.

Le Boston qu'elle aimerait voir se déployer aurait des maisons et des appartements qui ne sont jamais loin de boucheries, de fleuristes, de boulangeries, de vendeurs de primeurs et de restaurants. Des restaurants-carrefours. Des lieux d'arrêt où on prend un verre de vin, on se nourrit, on rencontre des gens, on se retrouve entre amis.

Mais sa vision de la restauration ne se limite pas à l'apport au quartier. C'est la ville qui est dans sa ligne de mire. En acceptant les réservations et en offrant un service de voiturier, par exemple, les restaurants du Gruppo Lynch veulent attirer les gens des banlieues dans la cité.

Mme Lynch croit qu'un autre des éléments qui expliquent pourquoi sa recette a fonctionné est que ses tables ne sont jamais arrivées seules. Un restaurant perdu dans un quartier encore bancal ne peut pas faire une grande différence. Mais deux restaurants ajoutent beaucoup tout d'un coup et peuvent avoir un impact. Soudainement, un quartier devient une destination. «Quand j'ai ouvert l'Oyster Bar et le Butcher Shop, il n'y avait rien dans ce coin», dit-elle au sujet du secteur de South Bay où elle s'est installée. «J'ai attendu au bon moment pour ouvrir, puis j'ai bâti ma propre masse critique.»

Son seul regret: ne pas avoir acheté d'immeubles aux alentours. Car la relance des quartiers encouragée par ses restos a en effet fait grimper les prix immobiliers.

Y a-t-il d'autres quartiers qui pourraient encore être ainsi renouvelés? «Oui, répond-elle tout de go.

- Lesquels?

- Ça, je ne vous le dis pas!»

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Montréal en lumière, des idées pour aujourd'hui: les 5 à 7 des vigneronnes chez Accords, Anita Ko chez Koko ce soir ou alors dormir tôt pour être en forme pour la Nuit blanche samedi.