J'adore le festival Montréal en lumière.

Ou plutôt j'adore le volet gourmand du festival, le seul que je connaisse vraiment.

J'aime rencontrer des chefs et des producteurs de vins en visite. J'aime échanger avec des gastronomes. J'aime avoir la chance de goûter à la cuisine de brigades auxquelles je n'aurai jamais la chance de rendre visite. J'aime la façon dont ce festival nous fait voyager en transportant le monde ici.

On l'a dit beaucoup, mais on peut peut-être le répéter une dernière fois: ce festival amène à Montréal des gens d'un calibre exceptionnel, que ce soit la grande chef Anne-Sophie Pic (qui cuisinait le week-end dernier au Toqué!) ou la vigneronne Véronique Sanders (qui servait ses bordeaux hier à Accords) ou encore la grande restauratrice américaine Barbara Lynch, celle qui transforme Boston avec ses restaurants quand elle n'est pas invitée à cuisiner chez Pullman.

Il y a toutefois une chose de ce festival qui me déçoit, année après année: c'est son côté portes closes.

Pour réellement participer au volet gourmand, il faut aller au restaurant. Il faut réserver, bloquer une plage horaire, entrer quelque part, s'asseoir, fermer la porte derrière soi.

Mon festival idéal se passerait plutôt un peu dans la rue. Pas juste dans la rue. Mais partiellement sur les places et les trottoirs, voire dans des artères devenues piétonnes pour l'occasion.

Chaque année, je rêve d'un festival d'hiver aussi ouvert que ceux de l'été, avec des comptoirs à soupe en plein air où on s'arrêterait sans l'avoir réellement prévu, avec des barbecues géants où les restaurants feraient griller de la viande ou des marrons. Il fait trop froid? Alors, pourquoi ne pas ouvrir un bar à huîtres déposées sur la neige, une station mobile de chocolat chaud (de qualité)?

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À Portland, où je suis allée récemment, la cuisine de rue est partout en ville et réunit les gens, peu importe la température. La cuisine nourrit ainsi non seulement les affamés, mais aussi la vie urbaine, citoyenne. On déguste, on se nourrit, on parle, on occupe l'espace public. La discussion qui devrait ou pourrait avoir lieu autour d'une table se déplace ailleurs. Et reste riche.

Manger des dumplings farcis au bouillon debout sur le trottoir quand il fait un froid de canard transforme l'expérience. L'effet de la chaleur réconfortante se décuple. Et au-delà du plaisir de se régénérer en avalant une riche soupe au citron ou au gingembre, un bi bim bop coréen ou des schnitzel, il y a celui de regarder la vie en ville défiler sous ses yeux, un peu comme lorsqu'on s'arrête un moment sur une place en Italie ou en Espagne.

Pourquoi ne peut-on pas vivre ce genre d'expérience durant le festival?

Pourquoi la Ville de Montréal, si réticente et craintive à l'idée d'ouvrir ses rues à la cuisine, ne profite-t-elle pas de cette occasion limitée dans le temps qu'est Montréal en lumière pour en faire le test?

L'événement le plus ouvert du festival est la Nuit blanche, qui aura lieu dans la nuit de samedi à dimanche. Pourquoi ne permet-on pas aux restaurateurs et aux autres cuisiniers de sortir dans la rue à ce moment-là? Partout dans la ville, des tonnes d'activités sont organisées. Performances, expositions, concerts... Le monde culturel s'est éclaté à bâtir une programmation vivante qui réunira les foules dans les rues, dans une atmosphère ouverte. Tout le monde se parlera, tout le monde s'amusera. La délinquance douce d'aller au musée plutôt que faire dodo fera son oeuvre.

Pourquoi le volet gourmand n'y prend-il pas sa place?

Les activités gastronomiques nocturnes annoncées se comptent sur les doigts d'une main. Camellia Sinensis offrira du thé pendant une bonne partie de la nuit. La Brasserie T! organise une soirée truffes jusqu'à tard dans la nuit. Le Santropol aussi sera ouvert, ainsi que le café Laïka, angle Saint-Laurent et Duluth. Au Vieux-Port, le bistro SAQ du festival accueillera aussi ceux qui ont un petit creux, tout comme le Balmoral, le restaurant de la Maison des festivals, rue Sainte-Catherine près de Jeanne-Mance.

Mais c'est à peu près tout.

Oui, on servira des tacos jusqu'aux petites heures au Nouveau Palais, avenue Bernard, juste à l'ouest de l'avenue du Parc. Mais ces tacos, préparés par des anciens du McKiernan et du Pied de cochon, sont servis dans le restaurant qu'ils sous-louent entre minuit et 3h tous les week-ends.

Cette fois-ci, il y aura probablement encore plus de monde. Mais ne comptez pas sur l'équipe du Grunman78 pour vous servir ses joyeuses créations à l'extérieur, dans la rue, dans la foule, comme son camion lui permettrait de le faire à New York, à Los Angeles ou à Portland. À Montréal, la cuisine de rue est interdite. Et ce moratoire total terrorise les innovateurs.

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À faire: ce soir et demain, on déguste les chocolats de Chloé avec du cognac Forgeron chez Pullman.

À trouver: une bibliothèque qui a les livres de cuisine Scook, d'Anne-Sophie Pic, la triple étoilée française qui a conquis les gourmets montréalais.

À prévoir: une réservation pour la soirée truffes de samedi chez T! ou alors pour la soirée Belle et Bulles du Laurie Raphaël, vendredi.