J'adore ma petite épicerie de produits naturels de quartier, bien urbaine, bien montréalaise, bien accessible à pied. Mais j'avoue que j'ai aussi un faible pour les supermarchés Avril.

Les Avril, ce sont des grandes surfaces installées à Longueuil, Brossard et Granby, qui font penser un peu à des Whole Foods québécois. Whole Foods est une chaîne américaine en pleine croissance fondée à Austin -qui compte quelques succursales en Ontario et en Colombie-Britannique- spécialisée dans les produits naturels. Pour manger, pour laver la maison, pour se brosser les dents...

Chez Avril, comme chez Whole Foods, on trouve donc de la lessive verte, du raisin bio, des céréales durables... Un peu comme chez nos petites épiceries naturelles de quartier. Sauf que l'espace est gigantesque.

Aux États-Unis, les Whole Foods sont souvent installés dans les villes, mais ici, les Avril sont en banlieue. Et dans des centres commerciaux. Celui du DIX30 où je suis allée luncher hier est dans la nouvelle section, entre plusieurs stationnements bien asphaltés.

Donc total paradoxe: pour aller acheter son dentifrice sans produits toxiques et sa confiture 100% bio, il faut prendre la voiture. On peut y aller en vélo, si on y tient. Mais dire que l'endroit n'est pas conçu pour pouvoir y faire aisément ses emplettes en bicyclette ou à pied ou en bus n'est certainement pas une exagération.

D'ailleurs, autour du supermarché construit de façon écoénergétique, je n'ai pas vu de supports à vélos.

Pourtant, si les clients d'un tel supermarché recherchent les légumes récoltés sans produits chimiques, le chocolat durable, les céréales patrimoniales célébrant la biodiversité, ne peut-on pas croire qu'ils aimeraient aussi avoir accès facilement à leurs commerces préférés de façon verte?

Leur donne-t-on la chance de marcher ou de rouler un peu? «Le problème avec la circulation en banlieue, ce sont les grosses artères», m'expliquait hier au téléphone Suzanne Lareau, présidente et directrice générale de Vélo Québec, organisme voué à la promotion de ce loisir et mode de transport. «Ce qu'il faut, c'est que les municipalités acceptent d'aménager des voies cyclables sur ces grands axes.»

Car on reproche souvent aux gens des banlieues de prendre la voiture pour tout faire, mais est-ce possible de faire autrement si une autoroute s'impose entre la maison et l'épicerie ou s'il faut absolument traverser une voie rapide?

Car ce n'est pas comme si tout le monde était anti-vélo.

Au contraire.

Je ne vous apprends rien, il y a, au Québec, une affection réelle pour la bicyclette. On l'observe notamment avec la popularité du programme BIXI à Montréal, le nombre de cyclistes sur les pistes le week-end et le succès, année après année, de la Féria du vélo (en passant, le Tour de l'Île est le 5 juin cette année).

Pourquoi n'en tient-on pas plus compte? C'est presque absurde.

Si on observe les publicités faites par les promoteurs de quartiers résidentiels à l'extérieur de Montréal, on remarque que la proximité des pistes cyclables est clairement mise de l'avant comme un atout majeur, note Mme Lareau. Elle donne en exemple deux nouveaux projets à Bromont et à Waterloo où la présence de l'Estriade, non loin, fait clairement partie des atouts que les constructeurs veulent souligner. Les gens de marketing, donc, «allument».

Sauf que dans le quotidien de la banlieue, on est encore coincé dans l'urbanisme des anciennes mentalités pro-voiture, et cet amour pour la bicyclette est donc encore difficile à transposer de façon utilitaire. Or, c'est ce que de plus en plus de gens veulent, continue Mme Lareau.

La piste cyclable qui va de nulle part à nulle part n'intéresse personne. On veut des pistes qui permettent de rouler, confortablement, sans avoir peur d'être happé par un camion, et qui mènent du supermarché à la bibliothèque, à l'école, à la gare de train...

Toute stratégie de réduction de la voiture doit donc aider les banlieusards à se promener en vélo chez eux. Car c'est le premier chaînon vers une diminution de l'utilisation de la voiture pour aller en ville, objectif crucial autant dans notre lutte contre la pollution, par exemple, que contre l'augmentation folle des frais de construction et d'entretien des infrastructures routières.La banlieue ne pourra probablement jamais avoir un réseau de vélos en partage comme le BIXI, ce grand succès montréalais dont la nouvelle saison commence aujourd'hui.

Pour que de tels systèmes fonctionnent, comme le Vélib' à Paris, le Vélo'v à Lyon, ou les vélos municipaux de Copenhague ou Stockholm, il faut une densité qui permette de rentabiliser l'entretien du réseau.

Sauf qu'il n'y a aucune raison de ne pas vivre en vélo dans les banlieues. Dans un monde idéal, cette habitude convaincrait ensuite les citoyens de partir de la maison sur deux roues, pour aller à la gare, monter dans le train ou l'autobus et terminer le chemin en BIXI une fois rendus en ville.

Il y a quelque chose d'absurde dans le fait que les embouteillages sont remplis de gens qui vont travailler en ville, et qui, le midi, iront au gym faire du vélo stationnaire pour s'entraîner pour leurs sorties de week-end.

Mais si vous aviez à rouler sur les boulevards Taschereau ou Saint-Martin, sans piste protégée, pour vous rendre à la gare, la prendriez-vous, vous, votre bicyclette?

Oh, et en passant, y aura-t-il une piste cyclable bien sécuritaire -avec jolie vue- sur le nouveau pont Champlain?