Au beau milieu des événements municipaux plutôt sombres de la semaine dernière, un petit changement qui pourrait devenir grand a été adopté par l'arrondissement de Ville-Marie. Tout bas. Tout discret. Un projet de triporteurs pour vendre des produits frais dans les parcs.

Anodin comme nouvelle, dites-vous, surtout alors que le Canadien cumule les victoires, que la campagne électorale bat son plein, que l'affaire Cantat-Mouawad soulève les passions?

Pas tant que ça.

En adoptant ce projet, l'arrondissement central de Montréal fait preuve d'un modernisme rafraîchissant.

Grosse nouvelle.

En allant de l'avant avec ce nouveau programme, l'arrondissement commence en effet à montrer plusieurs choses.

D'abord, qu'il y a à Montréal un intérêt, pour le développement des communautés et pour étoffer l'attrait des espaces publics, à apporter la nourriture près des gens. Le concept est déjà hyper répandu dans les autres grandes et moins grandes villes. Enfin, il arrive (ou revient) ici.

Ensuite, la Ville adopte une politique active pour encourager l'accès des produits fermiers régionaux en ville, posture cruciale pour le développement d'une agriculture locale viable.

Et outre tout ça, le projet a un volet pour encourager l'insertion sociale.

Bravo.

L'initiative doit commencer le 18 juin et durer jusqu'au 16 octobre. Elle consiste à permettre à trois triporteurs, coordonnés par le Marché Solidaire Frontenac, un organisme déjà fort actif dans le Centre-Sud, de se promener dans 12 parcs de Ville-Marie, surtout à l'est, pour y vendre des produits frais. On ira du square Viger au parc Médéric-Martin, en passant par le parc Raymond-Blain, le parc Colette-Devlin et j'en passe... Bref, on couvrira les quartiers s'étendant à l'est du centre-ville, jusqu'aux voies ferrées signalant le début d'Hochelaga-Maisonneuve.

Le but de l'opération n'est pas de fournir en cuisine préparée de type «non-malbouffe» des secteurs mal desservis. On a plutôt choisi pour le moment un autre angle alimentaire: rapprocher carrément les ingrédients frais, particulièrement les fruits et légumes, des consommateurs, dans des quartiers où ces aliments sont difficiles d'accès. Les triporteurs doivent apporter crudités et vitamines fraîches dans ce que la Santé publique de Montréal appelle «les déserts alimentaires».

À Montréal, en effet, 40% de la population ne peut pas aller acheter à pied des fruits et légumes. Prenez certaines rues vers l'est et dans certains secteurs même commerciaux, essayer de trouver un brocoli est une quête ardue. Par contre, pour la sauce à spaghetti en conserve, le ketchup et le macaroni au fromage en boîte, aucun problème.

Cette difficulté d'accès n'est pas le seul facteur à considérer mais peut-être nous aide-t-elle à comprendre pourquoi pratiquement les deux tiers des Montréalais ne consomment même pas un minimum de cinq portions de fruits ou légumes par jour. Marteler dans la tête des gens qu'ils doivent manger moins de chips et plus de radis ou de concombre sert à quoi, s'il leur faut prendre le bus ou le métro - parce qu'ils n'ont pas de voiture - pour trouver des légumes, probablement pas mal plus chers qu'un paquet de ramen instantané, dans une épicerie à l'autre bout du monde...

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Le projet de triporteur, donc, veut apporter les fruits et légumes là où il en manque. Mais en plus, on a fait appel pour cela à un organisme qui vend essentiellement des produits régionaux. Le Marché Frontenac a une politique très claire à cet égard et s'engage même à ne pas vendre un produit étranger s'il est disponible chez les producteurs régionaux du Québec en saison.

Ce choix permet d'ouvrir des débouchés aux agriculteurs de la région montréalaise qui ont trop souvent de la difficulté à mettre leurs produits en marché dans la métropole où la concurrence est difficile et les frais élevés.

Allez au marché Jean-Talon, Atwater ou à plusieurs marchés publics municipaux, par exemple, et vous verrez que bien des vendeurs ne sont pas des fermiers venant en ville offrir leur récolte, mais bien des revendeurs s'approvisionnant chez les mêmes grossistes que n'importe quelle épicerie ou supermarché.

(On peut être pour ou contre cette pratique tant qu'on est conscient que certains commerçants entretiennent le flou et laissent presque entendre que les fruits ou légumes sont régionaux quand ils ne le sont pas, par la présentation du kiosque ou autrement. D'ailleurs, si on vend des avocats ou des mangues dans un kiosque «fermier», puce à l'oreille...)

Le dernier élément intéressant de cette initiative légumière, c'est qu'elle favorisera l'insertion sociale de 10 jeunes du quartier Centre-Sud.

Petite nouvelle, donc, mais projet grandement intéressant. Et rassurant. Il y a des gens qui continuent, dans le brouhaha municipal, à faire avancer la ville.