S'est glissé dans le journal la semaine dernière, entre le procès sordide de Saint-Jérôme et la douche froide de la découverte du corps de Jolène Riendeau, une autre affaire de meurtre pour le moins horrifiante. Celui d'un garçon de 19 ans, assommé à coups de brique puis noyé dans le fleuve Saint-Laurent. Raison du crime survenu en 2009: la victime avait apposé sa signature en graffiti par-dessus celle de celui qui l'a assassiné.

Deux mineurs ont déjà été reconnus coupables, mais le juge devait décider de la peine de l'un d'eux. Vendredi, le verdict est tombé: trois ans de garde fermée.

Montréal n'a pas de quartier comme le Bronx, mais il a ses moments urbains terrifiants.

Le monde du graffiti est un monde dur. Cela n'a rien de nouveau. On l'oublie jusqu'à ce que de telles tragédies fassent surface. Ou alors, comme ce fut le cas en novembre, jusqu'à ce que trois jeunes graffiteurs soient fauchés par un train en pleine nuit.

Ou alors jusqu'à ce qu'on se réveille avec une maison ou un commerce orné d'un gribouillis sans intérêt, d'une signature stylisée aux airs de pipi à l'encre émis par un vandale cherchant à marquer son territoire, comme une bête.

Pourtant, pourtant... L'art de rue peut apporter dans les artères chauves la plus jolie, la plus intrigante, frappante, allumée des poésies. Actuellement, le musée d'art contemporain de Los Angeles y consacre une exposition complète. Une première du genre. L'artiste britannique Banksy y est en vedette, JR aussi, Français connu notamment pour ses visages en noir et blanc collés sur les murs des quartiers pauvres de Rio. Space Invaders est non seulement dans la métropole californienne, il a été arrêté à l'oeuvre.

Donc art ou vandalisme, tout ça?

Les décennies passent et rien n'a jamais été plus flou.

Qui ne s'est jamais dit, en regardant une grande surface grise d'un viaduc urbain ou d'une autoroute suspendue, que ça ne serait pas une mauvaise idée si un graffiteur talentueux allait y mettre un peu de vitamines pour l'esprit? Qui n'a jamais souri en voyant une peinture particulièrement bien réussie?

Le monde du graffiti est un monde dur. Mais au-delà des «tags» bêtes, de toute cette culture violente et des gestes sans profondeur, l'art de rue est nécessaire.

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À Montréal, l'artiste de rue le plus connu est sans nul doute Peter Gibson, alias Roadsworth. Vous savez celui qui, avec peinture et pochoir, transforme les lignes pointillées des voies rapides en fermetures éclair ou alors entortille une vigne bien feuillue mais imaginaire sur un trait démarquant un espace de stationnement.

Dans le milieu des années 2000, Gibson est devenu le symbole, malgré lui, du paradoxe que pose la question des graffitis.

Les siens étaient, et sont, fort intéressants. Au point où aujourd'hui, ce jeune père de famille vit de son art et parcourt le monde dans les expositions d'art éphémère.

Mais en même temps, la Ville ne pouvait le laisser peindre partout sans sourciller, car elle ne pouvait ouvrir la porte à lui et pas aux autres.

Gibson a donc été poursuivi mais est arrivé à une entente avec les autorités. Et comble du paradoxe: sa peine comportait un certain nombre d'heures de travaux communautaires qu'il a utilisées pour... peindre un peu de joie sur le sol d'une cour d'école plus grise que grise.

Cet été, Gibson franchit une autre étape. Après quelques projets municipaux qui se sont depuis effacés du bitume, il peindra, avec son ami artiste Philippe Allard, une première oeuvre non éphémère sur un mur de Montréal.

La Ville voulait créer un îlot de fraîcheur à l'angle des rues Verdun et de l'Église et a demandé à la société MU de travailler sur une murale, et la société a ensuite pris contact avec les deux spécialistes de l'extérieur - Allard se consacre surtout à la sculpture éphémère. Les concepteurs du parc, de la firme Lemay-Michaud, ont tellement aimé l'image proposée pour le mur - des nénuphars et des grenouilles - qu'ils ont adapté leur aménagement.

Gibson est-il en train de devenir un graffiteur officiel, légitime? «L'art, c'est un trip personnel, répond-il, mais je veux rejoindre du monde.» Ce qui est intéressant dans l'art de rue, continue-t-il, c'est que les artistes ne demandent pas la permission pour intervenir dans leur environnement. «Tu n'attends pas la bénédiction de personne pour dire ce que tu as à dire.»

Mais si le feu vert arrive avant même qu'on ne l'ait demandé, pourquoi ne pas l'accepter?

Gibson affirme que les années, les enfants et toutes les préoccupations que cela apporte ne l'ont pas rendu moins politique. Au contraire. «J'ai plus d'idées. Mais beaucoup moins de temps pour les exprimer.»

D'ailleurs, les deux compères mijotent toutes sortes de choses pour la métropole. «Montréal manque vraiment de fresques», note Allard. «Il me semble, ajoute Gibson, qu'il y a beaucoup de ponts en béton avec des murs gris...»