Au Québec, le mot gastronomie a une étrange résonance.

D'une part, on est fier d'entendre depuis toujours Américains et Canadiens des autres provinces vanter nos qualités de cuisiniers. «Oh, in Quebec, you eat so well!» (Combien de fois ai-je entendu cela?)

D'autre part, on sait pertinemment que la profondeur de notre culture culinaire n'a rien de spectaculaire.

Mis à part notre amour pour le maïs en épi, notre passion pour nos légumes du jardin est toute récente.

Trouver du poisson frais au bord du fleuve est encore souvent impossible.

Le monde du fromage, Dieu merci, est en train de se développer solidement. Mais là encore, ce n'est pas une réelle tradition, plutôt une nouveauté créative dans un secteur dynamique qui a certes une longueur d'avance sur ses concurrents du nord-est américain ou de l'Ontario. Mais cette longueur n'est pas insurmontable.

En outre, sortez des grands centres et, rapidement, vous aurez de la difficulté à trouver des restaurants servant une cuisine pas nécessairement chère et complexe, mais réellement soignée et faite de produits frais. Il y en a quelques-uns. Mais ces exceptions confirment la règle. Pratiquement partout ailleurs, à moins de choisir soigneusement ses adresses, on sert du bon marché bâclé. Et de la vinaigrette au ketchup, en passant par les desserts et la viande, l'industriel s'impose, pour ne pas dire règne.

Devant un tel constat, est-on obligé de dire que la «gastronomie» québécoise n'existe pas? Ou que, si elle existe, elle se résume à peu près à la poutine, au pâté chinois, au sirop d'érable et à quelques recettes de ketchup aux fruits ou de sauce à «spagate»?

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La réponse à cette question ne peut être définitive, car s'il y a bien une chose irréfutable que l'on peut dire de la gastronomie québécoise, actuellement, c'est qu'elle met beaucoup d'efforts à se transformer.

Autant, il y a une vingtaine d'années, les meilleurs restaurants québécois offraient une cuisine que l'on pouvait clairement dire française ou italienne ou japonaise, autant, aujourd'hui, ceux qui ressortent du lot sont des restaurants où l'on propose une cuisine québécoise.

Québécoise par ses produits (sirop d'érable, légumes racines, viande artisanale régionale, etc.), québécoise par ses recettes. Poutine réinventée, pâté chinois décliné, tourtières, cretons...

Mais est-ce une cuisine typiquement québécoise? Non, car tout cet intérêt pour une reprise intelligente de nos traditions est trop neuf.

Le mot «typique» nécessite des racines qui creusent plus loin.

En France - référence obligée -, si on prend un pot-au-feu, plat typique admiré et classé parmi les classiques de la gastronomie du quotidien, il y aura peu de différence entre celui qu'on vous servira au restaurant de quartier et celui que mitonnera toute bonne grand-maman.

En revanche, ici, il y a un fort décalage entre la cuisine du quotidien et cette nouvelle gastronomie en plein essor.

Allez dans une famille prise au hasard en Abitibi ou dans Charlevoix et, statistiquement, la probabilité est faible pour que le pâté chinois qui vous sera servi - probablement préparé avec de la viande issue d'un élevage industriel et du maïs en conserve - ressemble au pâté chinois au canard avec purée de céleri-rave servi dans ces restaurants qui cherchent actuellement à pousser un peu plus loin les frontières de notre gastronomie. Et la poutine de bord de route que vous mangerez en chemin risquera fort d'avoir été préparée avec de la sauce sortie d'un sachet ou d'une conserve achetée au supermarché.

Cela ne veut pas dire que le pâté chinois maison n'est pas bon.

Tout ce que cela signifie, c'est que notre gastronomie est une chose jeune, en ébullition, sans ancrage clair. Parfois dorlotée. Parfois bien malmenée.

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Il y a actuellement au Québec de réels efforts pour réinventer des traditions qui ne s'en allaient nulle part. (Je ne me suis jamais remise de mon incursion dans une cuisine de cabane à sucre, en Estrie, où on faisait l'omelette avec des oeufs liquides achetés en boîte mélangés avec du simili-bacon.)

Toutefois, on n'est qu'au début d'une transformation qui doit ou à tout le moins pourrait aller beaucoup plus loin.

Et pour ce faire, nous avons de nombreuses leçons à apprendre des Scandinaves.

Une véritable révolution gastronomique est effectivement en train de se produire dans ces pays - surtout au Danemark et en Suède -, où on combine une quête de l'excellence technique, qui mène plusieurs chefs à gagner des prix Bocuse en France, avec des recherches approfondies sur les richesses inexplorées du terroir et les techniques ancestrales.

Donc, on encourage une formation classique très poussée des chefs. En même temps, on cherche les produits typiquement scandinaves qu'on pourrait manger plus - baies, herbes sauvages, champignons, produits des mers environnantes. Et on tente de retrouver et de redéployer aussi les techniques ancestrales intimement liées aux circonstances locales, que l'on redécouvre avec des regards gourmands mais aussi soucieux de durabilité et de protection de l'environnement - conservation dans la saumure, fumage, séchage, etc.

Donc, y a-t-il une gastronomie québécoise? Oui. Mais elle a encore beaucoup de croûtes à manger.