Vous être outrés, je vous comprends.

Pourquoi, pourquoi, pourquoi un tel verdict? Je vous entends hurler la question.

Comme vous, je trouve difficile l'idée qu'un homme qui s'est lui-même avoué coupable d'avoir sauvagement assassiné ses enfants puisse être libéré des accusations de meurtre portées contre lui. Comme vous, j'ai été choquée d'apprendre que cette défense de «non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux» avait marché.

Comme vous, j'ai de la difficulté à croire que la folie ait si bon dos. Quel criminel n'est pas un peu fou quand il commet son geste? Pourquoi lui l'est-il au point de ne pas porter la responsabilité de l'acte?

Comme vous, j'avais, hier matin, le moral dans les talons.

En plus, cette semaine, on dirait que tous les petits jugements qu'on avait déjà émis en privé dans notre tête s'écroulent. De la cause contre DSK à celle de Casey Anthony, cette jeune mère floridienne qu'une bonne partie de l'Amérique croyait coupable du meurtre de sa fille Caylee, elle aussi acquittée. Plus rien ne tient?

Comme vous, j'ai envie de dire que le système de justice ne fonctionne pas comme il le devrait s'il n'est pas capable de trouver de vrais coupables pour de vrais crimes et de les mettre en prison.

Sauf que voilà.

Comme vous, je n'ai pas assisté au procès de Guy Turcotte du début à la fin. Je n'étais pas membre du jury. Je n'ai pas passé des jours et des jours depuis le mois d'avril à écouter témoins et experts donner leur avis. La nuance sur la folie était dans ces heures de témoignages que je n'ai pas entendus.

Et si j'ai de la difficulté à me rendre à la décision qui a été rendue, je n'ai pas de difficulté à m'incliner devant ceux qui nous exhortent à respecter le processus judiciaire. Nous avons le droit d'être déçus, mais remettre en question la validité d'un jugement aussi grave est un pas que je refuse de franchir. Peu importe à quel point cette décision choque, elle a été rendue par 11 jurés aussi justes que nous tous.

Quand la mère des victimes est plus rationnelle et posée que le public, il est temps de s'arrêter. Et de se taire. Ou du moins de prendre le temps de réfléchir à ce qui peut être dit, au-delà de la hargne et des mots violents, pour exprimer le désarroi.

Les réseaux sociaux sont des outils d'échange formidable, mais hier, dans la foulée du jugement, ils ont montré un visage disgracieux. Vous y étiez tellement nombreux à hurler votre colère qu'on aurait dit une milice prête à bondir, fourche à la main. Sauvage.

Être furieux, c'est une chose. L'exprimer sans balises, c'en est une autre. Sommes-nous des Wisigoths?

* * *

«C'est certain que je suis insatisfaite», a dit Isabelle Gaston, l'ex-femme de Guy Turcotte, cette mère orpheline dont on peut difficilement imaginer comment elle fait pour ne pas se noyer dans ses propres larmes, pour ne pas se perdre dans la noirceur des deux abîmes qui sont là, dans son âme, tous les matins...

«Mais peu importe, a-t-elle ajouté, même si ça avait été meurtres au premier degré, je n'aurais pas été satisfaite, car je ne retrouverai pas mes enfants.»

Cette sagesse forte mérite qu'on baisse la tête et qu'on se taise quand elle passe. «Aucune violence à l'égard de quiconque, même du père, peut-être maintenant de moi-même, ne saura réparer l'injustice.»

L'injustice du jugement? L'injustice aussi du sort absurde qu'ont subi ses deux enfants. Sans parler des vies brisées de ce grand périmètre familial qui entourait les deux petits.

Comme vous, je me demande ce qui va arriver maintenant, et j'aimerais mieux que les psychiatres gardent Guy Turcotte chez eux. Comme vous, j'ai de la difficulté à croire qu'on puisse vivre normalement en société après avoir commis un tel geste. Je préférerais - l'ai-je dit? - qu'il reste loin, le plus loin possible. Justice a été rendue, je l'entends. Il reste que, comme à vous, j'imagine, cet homme me fera toujours très peur.