«Vous voulez savoir quelle est la tendance de l'avenir, ici? lance Allison Arieff avec un sourire. C'est le partage. On emprunte, on prête, on troque»

Elle parle des outils à échanger entre voisins. Des Zip Car, les Communauto de San Francisco, plus populaires que jamais. Des voisins que l'on voit de plus en plus souvent se rendre mutuellement service, je repeins ta salle de bains, tu me construis un site web.

«Quand je suis partie en vacances, j'ai donné les légumes de mon jardin aux gens de ma rue pour qu'ils les partagent.»

L'avenir n'a jamais eu autant l'air du bon vieux temps.

Je me souviens de la première fois que j'ai entendu parler de cette journaliste urbaine engagée.

Je traînais dans la section magazines plutôt nulle d'un dépanneur quand je suis tombée sur Dwell, un mensuel qui parlait non pas de décoration, mais d'architecture, d'urbanisme, d'histoire. Une publication très belle, qui refusait la superficialité.

Je n'ai jamais cessé de l'acheter depuis.

Rapidement, j'ai classé dans ma tête le nom de la responsable de ce projet, la rédactrice en chef Allison Arieff, dans une catégorie réservée aux «phares», ces gens dont les intérêts m'allument et qui ont des lieues d'avance, autant dans leurs connaissances que dans la profondeur de leur réflexion.

Arieff est restée sept ans au magazine avant de démissionner, en 2006, notamment à la suite de changements d'orientation de la publication laquelle, on l'a constaté par la suite, a effectivement perdu un peu de sa force.

Arieff a rapidement été repêchée par le New York Times, qui lui a confié une chronique sur l'architecture et le design dans ses pages d'opinion, sur le web.

Là, on continue de suivre ses réflexions sur la transformation de l'Amérique au gré des crises économiques et des défis environnementaux.

Quand je lui ai écrit pour lui demander une entrevue, histoire de parler d'agriculture urbaine et des nouvelles tendances qui transforment la vie à San Francisco, où elle habite et travaille, elle m'a tout de suite envoyé une photo de sa récolte de la journée. Comme bien des résidants de cette ville, sa cour arrière est devenue un potager depuis quelques années. Citrons, fraises, artichauts

Dans une de ses chroniques, elle a raconté comment elle a commencé à cultiver son potager en embauchant une nouvelle entreprise dont la mission était d'aider les citadins qui n'ont ni temps ni la main verte à tirer parti, sur le plan alimentaire, de leur jardin.

Cette petite société n'existe plus, mais elle a permis de susciter un changement dans la vie de la famille de la journaliste, qui continue maintenant de façon autonome à s'occuper de son potager. Selon Arieff, ces projets déclencheurs, même éphémères, jouent actuellement un rôle important dans la ville.

«Une autre grande tendance du moment, c'est de se lancer dans des projets tout en sachant que cela pourrait être tout à fait temporaire», dit-elle. On met de côté les notions de permanence et de long terme qui peuvent faire peur. «On se lance et on se dit On verra bien ce qui arrivera.»

Le projet-pilote a la cote. Les parcs temporaires, les restaurants temporaires, les installations artistiques temporaires. Tout ce qui est popup. Même les boutiques. On essaie, on voit si ça fonctionne.

«C'est une attitude nouvelle liée à l'augmentation des prix de tout», explique-t-elle. Au lieu d'investir une fortune dans un nouveau restaurant solide, par exemple, de jeunes chefs se lancent dans la cuisine de rue (old news, précise-t-elle) ou alors, tendance du moment, ils s'installent dans les cuisines de quelqu'un d'autre pour un soir. «Un boui-boui, par exemple, deviendra un soir par semaine un endroit super raffiné où, dans le même décor, on sert de la haute cuisine.»

L'esprit du moment tester de bonnes idées avec un engagement financier réduit.

D'ailleurs, même les fermes urbaines qui font le plus parler d'elles actuellement à San Francisco sont temporaires. Les instigatrices de Little City Gardens, dont les activités commerciales ces fermières citadines vendent leurs salades dans des restos ont mené à l'assouplissement des règlements municipaux, se sont lancées en affaires en louant un terrain pour un an et demi seulement.

La ferme de Hayes Valley, qui s'est rendue célèbre en s'installant sur une ancienne bretelle d'autoroute, savait aussi dès le départ qu'elle était en sursis en attendant la relance des projets de construction, m'a expliqué Booka Alon, en entrevue. «Oui, c'est dommage de savoir qu'on devra bientôt déménager. Mais au moins, on a pu montrer que ce type de projet fonctionne.»

Après s'être beaucoup intéressée à l'architecture résidentielle unifamiliale, notamment à la démocratisation de l'architecture de qualité grâce au préfabriqué réfléchi et écologique (un de ses livres porte là-dessus), Allison Arieff axe de plus en plus ses réflexions, dit-elle, sur les immeubles de plusieurs logements. La journaliste trouve que, depuis plusieurs années, on parle beaucoup de magnifiques maisons d'architecte et de projets individuels de toutes sortes. Mais le réel défi, maintenant, c'est d'accorder idées et énergie aux multiplex puisque l'avenir des villes repose sur la diminution de la dépendance aux énergies fossiles et l'accroissement éveillé, juste et durable, de la densité. Un architecte du moment qui l'inspire, à cet égard, est David Baker, dont les projets à forte préoccupation environnementale cherchent à créer des espaces verts et frais dans des zones très habitées et construites. «Et au moins, précise-t-elle, ses projets n'ont pas des couleurs vives qui disent Je suis un HLM, mais je suis quand même joli! »

Dans le monde d'Allison Arieff, il faut des projets qui vont pas mal plus loin que ça.