À la même date, l'an dernier, personne ne parlait ouvertement de projets de chefs de réputation internationale à Montréal. Quand il était question de tables satellites lancées par les stars de la gastronomie dans les grandes villes du monde, on pensait Vegas, Tokyo, Londres et New York, évidemment.

Pourtant, aujourd'hui, Montréal est aussi dans ce circuit.

L'étoilé et très télégénique chef Gordon Ramsay, M. Londres et Los Angeles, était en ville hier pour la réouverture du Laurier, qui portera maintenant aussi son nom. En juin, le Franco-New-Yorkais Daniel Boulud, autre mégastar installée autant à Palm Beach qu'à Pékin, est venu préparer sa Maison Boulud au Ritz, rue Sherbrooke. On nous annoncerait l'arrivée d'Alain Ducasse au sommet de la Place Ville-Marie ou de Joël Robuchon au restaurant Hélène-de-Champlain, dans l'île Sainte-Hélène, que nous n'en serions pas nécessairement surpris. (En fait, j'y pense: peut-être que Martha Stewart devrait venir transformer le chalet du mont Royal?)

Que s'est-il passé pour que Montréal devienne soudain un tel pôle d'attraction? La hausse du dollar a pourtant effacé cet incroyable avantage qui nous rendait si bon marché. Calgary est la ville du moment côté croissance et pouvoir d'achat. Toronto est d'habitude la première sinon la seule à voir ouvrir chez elle toutes sortes de succursales de chaînes étrangères haut de gamme, de type Williams-Sonoma ou Whole Foods...

Y aurait-il un buzz particulier autour de Montréal?

«Ah oui, absolument, sans le moindre doute», m'a répondu hier M. Ramsay lui-même, lors d'une entrevue de 9 minutes 13 secondes. Comment le sait-il? Ça se sait, ça se dit. Il faut lire les blogues, explique-t-il. Ou alors sonder l'univers des chefs, ceux qui sont dans l'ombre, qui travaillent partout, échangent entre eux, parlent notamment des produits, des fournisseurs. Tous ces gens cachés du monde de la cuisine qui font écho aux tendances quand ils ne sont pas carrément en train de les lancer.

«Ça me fait penser à ce qu'a vécu Londres il y a 10 ou 12 ans, précise Ramsay. Il y a énormément de talents, ici.» Il parle d'une certaine énergie dans l'air. D'une communauté de gens de cuisine tissée serrée. Il va même jusqu'à demander à haute voix qui pourrait être le prochain grand restaurateur attiré ici et lance des noms: Jean-George Vongerichten? Nobu?

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Ramsay, que les journalistes ont pu rencontrer à Montréal hier, première occasion officielle depuis l'annonce de sa venue l'automne dernier, dit qu'il est tombé amoureux de la ville il y a cinq ans, au cours d'un voyage de chasse à l'oie. L'atmosphère lui a rappelé le Paris de ses années de formation, où il a appris à parler français.

Le Pied de cochon avait déjà commencé à créer une nouvelle effervescence en attirant une foule internationale d'amateurs de cuisine carnée et beurrée, le chef et auteur américain Anthony Bourdain en tête.

Gordon Ramsay n'a pas décidé de donner son nom à un établissement québécois en regardant la grande carte du monde et en choisissant Montréal parmi d'autres villes. Avis à Edmonton, Whistler, Toronto et à toutes les autres municipalités canadiennes qui, dit M. Ramsay, lui demandent aujourd'hui encore pourquoi il ne les a pas choisies.

Comme c'est souvent le cas en affaires, l'occasion s'est présentée. Danny Levy, commerçant montréalais spécialiste des outils de cuisine avec qui le Britannique travaillait déjà, et qui venait d'acheter le bâtiment de la famille Laporte, tout juste à la frontière d'Outremont et du Mile End, lui a parlé du projet. Le reste a suivi. Ramsay, qui a notamment tenu la vedette d'une série de téléréalité sur la relance de restaurants moribonds, a accepté de plonger.

Le chef s'est alors vu comme Alain Ducasse devant le Benoît, un bistrot parisien plus que classique aux abords du Marais, ressuscité par le grand chef français.

Aujourd'hui, Ramsay espère-t-il que le restaurant devienne une attraction touristique? Non. Ce n'est pas le but du projet, dit-il. Mais il aimerait bien que Le Laurier soit l'une de ces institutions que l'on visite quand on vient découvrir Montréal. Après tout, avec ses 70 ans bien sonnés, c'est une des tables les plus anciennes de la cité.

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Pour ceux qui me posent la question depuis le début de la semaine: non, je n'ai pas encore goûté à la cuisine du nouveau Laurier. Je suis allée à la conférence de presse hier et j'ai interviewé le chef Ramsay, mais je n'ai rien mangé. Et je ne suis pas allée au cocktail de lancement. J'irai un autre jour, à l'improviste, avec addition. On s'en reparlera alors.