Même à notre époque, il y a des employeurs qui profitent des congés de maternité pour licencier des employées. Ça se fait généralement sous le couvert de toutes sortes d'autres prétextes liés à la gestion ou à l'orientation de l'entreprise, mais finalement le résultat demeure le même: «Madame, beau bébé, mais plus de job.» Et on entend presque le cerveau de l'employeur marmonner: «Et bonne chance avec votre nouvelle vie où vous ne serez plus disponible pour votre travail à 200% comme avant.»

Je connais des gens qui ont été touchés. Poursuites? Hauts cris? Il devrait y en avoir plus souvent. Mais tout le monde n'a pas envie de se lancer devant les tribunaux, ni de se faire connaître ainsi dans un milieu professionnel peut-être tissé serré. On comprend donc leur silence résigné.

Mais imaginez si, sans boulot, après des années de contribution systématique au programme d'assurance-emploi, on vous apprend, en plus, que vous n'avez pas droit aux prestations.

C'est ce qui est arrivé à Norah Krahl, Montréalaise, nouvelle maman.

Traductrice en congé de maternité depuis mai 2010, elle est retournée au travail le printemps dernier chez la firme américaine Global Interactive Support pour apprendre que son département déménageait à Boston et que son poste disparaissait.

«Qu'à cela ne tienne, s'est-elle dit, je vais réclamer mon assurance-emploi.

- Aaaaah non!, lui a-t-on répondu. Vous n'y êtes pas admissible. Durant la dernière année, vous n'avez pas travaillé le nombre d'heures nécessaire pour y avoir droit.

- Pardon?»

La jeune femme a décidé de contester le tout devant les tribunaux.

Certains avocats spécialisés semblent croire qu'elle a peu de chances de gagner. On verra. Reste qu'elle a ainsi porté la question sur la place publique. Et qu'elle a eu bien raison de le faire.

Il n'est pas normal qu'un parent revenant de congé parental n'ait pas droit aux prestations de l'assurance-emploi s'il y a amplement contribué avant d'avoir son enfant.

Être en pause de travail pour pouvoir veiller sur un nourrisson, ce n'est pas la même chose qu'être au chômage.

Pour des raisons administratives, tout le système de congé parental et de maternité est imbriqué dans le système d'assurance-emploi général. Quand on part en congé de maternité, on passe exactement par le même processus que quelqu'un au chômage. Mêmes interlocuteurs, mêmes directives, même délai de carence de deux semaines, une autre absurdité.

On comprend que d'un point de vue de gestionnaire, ce soit la meilleure façon de fonctionner. Il y a déjà un système en place pour les chômeurs et les personnes mises à pied. Il est bien rodé. Efficace. Inclure le programme pour les parents dans cette machine bien huilée est totalement sensé.

Mais cela ne veut pas dire qu'il faille rester aveugle devant les aberrations. Il est impératif que le gouvernement adapte les règlements. Et que les administrateurs du programme comprennent qu'ils ont affaire à des clientèles complètement différentes.

Si le gouvernement conservateur est le véritable champion de la famille moyenne canadienne qu'il proclame être, il devrait tout de suite chercher à résoudre le problème, sans attendre que Mme Krahl s'échine devant juges et avocats. Les tribunaux ont peut-être une opinion sur la question. Grand bien leur fasse. Ce n'est pas une raison pour patienter et patienter encore et remettre à demain ce qui aurait dû être fait non pas hier, mais il y a au moins neuf mois. Pour ne pas dire dès les premiers pas du programme refondé au début du millénaire.

Tous ceux qui ont été en congé avec un nouveau-né le savent: s'occuper d'un bébé n'est pas exactement un long moment de relaxation. Nuits courtes et parfois inexistantes, attention constante portée vers l'autre, logistique du quotidien compliquée, déficit de sommeil... Ce n'est pas la même chose qu'être au chômage et avoir tout son temps et sa tête pour réfléchir à son avenir professionnel et chercher un nouvel emploi.

L'utilité administrative de confondre chômage et congé de maternité ne devrait pas nous priver de discernement et servir de prétexte à une mise en oeuvre aveugle des deux programmes de prestation aux objectifs totalement différents. Il faut respecter l'esprit du programme de congé de maternité et de congé parental, qui n'est pas une mesure transitoire d'aide à l'emploi, mais un plan d'investissement collectif dans l'avenir de notre société.