«Maman, est-ce que je pourrais avoir un cellulaire?»

Tout juste comme je croyais enfin passée la tempête de demandes répétées pour un chien (ou «au moins un lapin»), la question est arrivée, évidente, prévisible. «Maman, pourquoi je n'ai pas de cellulaire?»

Si vous avez des enfants assez grands pour appeler leurs amis tout seul ou envoyer un courriel, vous avez sûrement vous aussi eu droit à cette requête. Selon une recherche américaine citée par le groupe de recherche sur les enfants et les médias de l'Université Harvard, 22% des enfants âgés de 6 à 9 ans utilisent un cellulaire, ainsi que 60% des 10 à 14 ans et 84% des ados de 15 à 18 ans. Ne pas avoir de cellulaire n'est plus la norme. «Maman, tout le monde en a un», me répète-t-on tout le temps.

Le cellulaire est tellement répandu qu'il est devenu une question épineuse dans les écoles où leur utilisation en classe n'a plus rien à voir avec la communication mais tout avec la distraction. Là où j'ai déposé un de mes enfants la semaine dernière, les parents et les écoliers ont d'ailleurs eu droit à de longues explications du responsable de la discipline sur les limites de leur utilisation à l'intérieur de l'institution. Là, comme dans de plus en plus d'écoles, on confisque les portables quand les jeunes enfreignent des règles strictes et claires. Et c'est probablement la meilleure et seule chose à faire.

Respectueux, le responsable de la discipline n'a pas remis en question le fait que les parents achètent de tels outils de communication et y abonnent leurs enfants, mais ne pensez-vous pas qu'on pourrait se poser la question?

Fournit-on trop tôt des cellulaires à nos petits?

Détrompez-vous, je ne suis pas anti-cellulaire. Je suis moi-même accro à mon portable. S'il apporte le travail à la maison, il me permet aussi de rester près de ma famille dans des situations où, jadis, j'aurais probablement dû partir au bureau.

Le cellulaire joue un rôle extrêmement utile dans la vie en général et même dans celle des enfants en particulier. Quoi de plus efficace, pour les parents, pour suivre les pérégrinations quotidiennes de leur progéniture? Quoi de plus immensément rassurant que de savoir que, non seulement on peut joindre nos petits en tout temps, mais qu'en plus, eux peuvent nous contacter pour toute urgence?

Mais peut-on vivre sans téléphone portable quand on a 10 ans?

Probablement que oui. Et peut-être est-ce même mieux...

D'abord, il y a ce flou au sujet de l'impact de l'utilisation de l'appareil cellulaire sur le développement du cerveau. Jusqu'à présent, aucune recherche n'a montré un lien direct entre les tumeurs ou tout autre problème de santé et ces appareils, mais il y a quand même une brume d'incertitude qui demeure. Dans une étude publiée cet été dans le Journal of the National Cancer Institute britannique et qui a fait beaucoup parler d'elle, car elle réfutait tout lien entre tumeur chez les enfants et quantité de temps passé au cellulaire, on notait, par exemple, la présence d'un lien statistique entre le risque de tumeur et le temps abonné à un service cellulaire. Et si vous cherchez de l'information fiable sur l'internet à cet égard, vous remarquerez que, même lorsqu'on parle d'innocuité, on note généralement dans le même souffle qu'il est toujours possible de limiter l'exposition des enfants, en imposant des conversations courtes et en encourageant l'utilisation d'écouteurs-micros, qui éloignent la tête de l'appareil. Bref, on est loin du «Ne vous en faites pas du tout».

Autre problème: dans les écoles, note le groupe de recherche de Harvard, on remarque de plus en plus d'utilisation compulsive du téléphone, comportement lié aux jeunes ayant une piètre image d'eux-mêmes. Imaginez que vous soyez prof et que vos élèves n'arrivent plus à s'empêcher de regarder leurs messages ou de jouer, histoire d'aller chercher un improbable réconfort.

Et on ne parle même pas du bullying qui se fait par textos et vidéos, par téléphone. Selon une recherche britannique, 14% des enfants de 11 à 19 ans ont été menacés par des messages textes. Parfois, cela inclut aussi des photos ou des vidéos gênantes prises à l'insu de la victime.

En donnant des cellulaires à nos enfants, on calme nos inquiétudes de parents, mais que leur met-on dans les mains?

Les écoles et les parents doivent absolument discuter pour trouver des moyens d'aider ceux qui le veulent à repousser le plus possible l'échéance du cellulaire.

Par exemple: souvent, les messages que les enfants doivent absolument envoyer à leurs parents durant la journée scolaire pourraient être envoyés par courriel. Pour cela, il leur faut un accès à des ordinateurs à l'école.

Plusieurs messages peuvent aussi être envoyés directement par la direction de l'institution, s'il s'agit par exemple d'un changement imprévu à l'horaire. Il suffit alors d'avoir une liste d'envoi par courriel centralisée et hop, les parents sont mis au courant sans que les enfants aient besoin d'un téléphone.

Les écoles peuvent aussi avoir des babillards centralisés où on affiche les messages courriel envoyés par les parents.

Évidemment, voilà seulement quelques idées et tout cela doit demeurer gérable et réaliste.

Mais n'y a-t-il pas suffisamment de bémols du côté des professeurs, des directions d'école, des parents inquiets et des autorités en santé publique pour justifier qu'on cherche des moyens d'attendre le plus tard possible?

Nos enfants sont capables de patienter encore un peu, non?