Rassurez-vous, je ne prévois pas ouvrir un service de garde chez moi. Mais si je le voulais, je le pourrais, ai-je appris hier.

«En théorie, si des parents acceptent de te confier des enfants et de te payer pour le faire et que tu déclares ces revenus, tu le peux», m'a affirmé mon comptable, à qui j'ai demandé des explications à la suite de ce bouleversant dossier sur les garderies privées broche à foin préparé par mes collègues Isabelle Audet et Martin Chamberland, paru hier dans La Presse et sur Cyberpresse.

Étonnant?

Oui. Mais mes amis nous confient parfois leurs enfants, et nous les gardons, gratuitement certes, mais ils en ressortent bien vivants. J'ai même ouï dire que certains apprécient notre pâté chinois. Et notre collection de Sauveteurs du monde.

Et, de la même façon, je confie mes enfants à des amis et à des gardiennes...

La réalité, c'est que n'importe qui peut garder les enfants des autres. Ce n'est pas interdit par la loi. Personne n'inspecte personne avant ou après. Les parents exercent leur jugement. Cela fait absolument partie de la vie en société. C'est banal, très banal.

Banal jusqu'à ce que le concept dérape. Et si vous voulez savoir comment, allez voir les images de garderies privées non réglementées filmées par Isabelle et Martin. Enfants gardés dans des endroits absolument trop petits et non sécuritaires, pas exactement nickel. Voisinages douteux. Employés douteux.

De quoi vous couper l'appétit et vous donner des frissons dans le dos.

Comment des parents peuvent-ils laisser leurs enfants dans des conditions pareilles? se demande-t-on après avoir lu le tout. Comment le gouvernement peut-il rester là sans rien faire? Comment en sommes-nous arrivés là?

Doit-on fermer toutes ces garderies? Doit-on cesser de permettre à ces services de garde non officiels de délivrer des reçus donnant droit à des déductions fédérales et à des crédits d'impôt provinciaux?

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La mesure fiscale qui permet à ces garderies de proliférer est pertinente, car elle permet aux parents de choisir autre chose que les CPE officiels pour faire garder leurs tout-petits. Les garderies publiques sont formidables et c'est un programme essentiel qui a eu un impact social et économique fondamental, en permettant notamment aux femmes les plus pauvres d'aller chercher des revenus de travail.

Cela dit, les CPE ne sont pas pour tout le monde. Et donner droit à de l'aide fiscale pour d'autres solutions -gardienne à la maison, gardienne à la maison partagée avec d'autres parents, petits services de garde privés- est une mesure justifiée. C'est équitable. De plus, on soulage un réseau public déjà débordé.

Cela étant dit, il n'est pas inintéressant de demander à voix haute si l'État ne devrait pas se pencher un peu sur les services pour lesquels il consent cette aide fiscale, voire mieux les contrôler.

Mais où tracer la ligne?

Veut-on des inspecteurs partout pour vérifier si les gardiennes et les lieux sont adéquats? En voulez-vous un chez vous?

Qu'est-ce qui est correct et ne l'est pas?

Si une mère réfugiée, venue de l'autre bout du monde, nous dit qu'elle a connu bien pire comme conditions de vie pour ses enfants, devons-nous lui imposer de changer de gardienne?

Si on veut commencer à évaluer les services de garde dans les maisons, ira-t-on aussi sur le Plateau et à Outremont ou à Westmount semoncer les parents qui n'installent pas de barrières dans leurs escaliers parce que cela ne s'inscrit pas bien dans leur design dernier cri? Et ceux qui laissent leurs enfants avec des gardiennes... tout le temps, du lever au coucher?

Et si un parent comme vous et moi choisit de confier ses enfants à une voisine qui s'est organisé une petite garderie maison, a-t-il besoin d'un fonctionnaire pour lui dire si cette dame est à la hauteur ou pas?

Veut-on mettre des ressources dans le contrôle ou dans l'ouverture de nouvelles places en CPE?

Car le réel problème, c'est le terreau qui a permis la prolifération de services inadéquats, soit l'absence d'un nombre suffisant de CPE dans les quartiers où ils sont le plus nécessaires. D'autant plus que les attentes créées et non remplies participent à la confusion entre ce qui est réglementé et ce qui ne l'est pas, les parents finissant par vouloir une place à tout prix.

Et puis il y a cette anomalie fiscale qui fait que pour certains parents, grâce aux déductions et crédits d'impôt, il est plus économique de laisser un enfant dans un service privé non réglementé que de chercher un CPE qui a du bon sens. Le gouvernement peut corriger ça, non?

Mais pour le reste, la responsabilité parentale, ça ne se réglemente pas jusque dans les moindres détails.

Parfois, il faut malheureusement lâcher prise et se dire que l'État ne pourra jamais empêcher les mauvais parents de prendre de mauvaises décisions.