La semaine dernière, on a beaucoup entendu parler de la Maison symphonique, cette salle de concert finalement ouverte après 20 ans de tergiversations, de pelletées de terre, de reculs et de promesses, et même quelques mois de bouchons.

L'inauguration, mercredi dernier, fut grandiose. On s'est dit heureux d'avoir enfin cette salle à l'acoustique de calibre international pour notre orchestre symphonique. Et, toute la semaine, bien des mélomanes se sont surpris à siffler des airs de la Neuvième de Beethoven, redécouverte, à l'ouverture, en version joliment boisée.

L'heureux événement avait quelque chose de très réjouissant pour Montréal. Enfin, un nouvel immeuble d'envergure au centre-ville! Enfin, un lieu culturel rutilant! Partout, on a entendu de bons mots.

Formidable, donc, ce projet?

Oui et non.

Oui, bien sûr, parce qu'une belle et bonne salle de concert, ça ne peut pas être une mauvaise idée.

Non, parce que ce nouvel immeuble est la consécration d'une façon de faire des choix culturels, architecturaux, urbains qui nous mène dans un cul-de-sac.

Une des personnes les plus en désaccord avec la façon dont le gouvernement a procédé pour construire la salle en question n'est nul autre que le président de l'Ordre des architectes, André Bourassa. M. Bourassa n'a pas d'opinion particulière à émettre sur le bâtiment. Après tout, il est le président de l'ordre de tous les architectes.

Mais il a des opinions, et elles sont même très claires et bien structurées, sur l'opacité et l'obsession budgétaire qui ont marqué l'initiative du début à la fin.

«Est-ce qu'on a payé le juste prix? On ne le saura jamais, lance-t-il. Les autres projets qui ont été proposés et qui n'ont pas été retenus, on ne les verra jamais!»

Selon lui, c'est la formule du partenariat public-privé, retenue par l'ancienne présidente du Conseil du Trésor Monique Jérôme-Forget, qui a posé problème, notamment à cause de l'absence de transparence. «Les choix architecturaux faits derrière des portes closes comme ça, c'est inacceptable.» Au lieu d'ouvrir un concours et un débat publics sur les idées, on a géré des propositions où les questions d'argent ont largement primé les autres considérations, affirme M. Bourassa. Le dossier, dit-il, a été piloté par des comptables et des avocats.

Pourtant, il y a une expertise au sein de l'État pour évaluer publiquement et ouvertement les projets architecturaux, note le président de l'Ordre. En retirant aux décideurs les leviers pour faire ces choix cruciaux, le gouvernement lui-même s'annonce comme un «donneur d'ouvrage ignorant et incompétent».

Ce retrait de la prise de décision architecturale ne doit plus survenir, note M. Bourassa. L'État doit garder une certaine autorité sur les choix, assurer une discussion ouverte, rester le dernier arbitre au regard large et profond, au-dessus des intérêts privés. Il n'a pas à planter le moindre clou, loin de là. Mais il a un rôle de supervision à jouer. Des normes à dicter. Des intérêts collectifs à défendre, à promouvoir.

Après tout, la construction d'une enceinte comme la Maison symphonique est un choix culturel majeur. Ce n'est pas un centre commercial ou une autre tour à «condos». C'est une occasion d'enrichir le patrimoine culturel et architectural de la ville. Pensons au musée Guggenheim de Bilbao, de Frank Gehry, ou à l'Opéra de Sydney, de Jorn Utzon, véritables signatures. Ces bâtiments ont des fonctions, mais ce sont aussi des oeuvres d'art en soi. Qui ont eu un prix, mais qui ont aujourd'hui une immense valeur.

A-t-on maintenant une telle oeuvre entre nos mains, angle Maisonneuve et Saint-Urbain? Non. On a un beau bâtiment avec une bonne acoustique.

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Longtemps on a dit que les considérations financières qui ont amené les gouvernements, avec les années, à laisser de côté la profondeur qui avait marqué l'architecture montréalaise dans les années 60 pour privilégier les projets «qui rentrent dans les temps et dans les budgets» avaient l'assentiment de la population. Une population de contribuables échaudés notamment par les coûts du Stade olympique et décidés à ne plus jamais s'y faire reprendre, quitte à accepter des immeubles ordinaires, au rabais.

Mais la situation a de nouveau changé, croit M. Bourassa. «Les jeunes ont été élevés avec le design suédois d'IKEA, pas le Père du meuble», affirme-t-il, s'excusant de la caricature. «Les jeunes aiment l'architecture. La génération montante est plus informée, plus concernée, plus sensibilisée, prête à plus et à une meilleure architecture que ce que l'État fait en ce moment. Il y a une volonté, une soif d'autre chose.»

Il raconte qu'il a même travaillé pour un couple qui s'est fait imposer un style «manoir» pour sa nouvelle maison, dans une municipalité, alors qu'il aurait préféré de la réelle architecture actuelle.

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Élever les critères architecturaux de Montréal n'est pas une lubie de snob. C'est un désir de plus en plus populaire. Ça n'a pas à coûter cher, on n'a qu'à demander aux architectes de travailler à l'intérieur d'un cadre budgétaire. On n'a même pas à aller chercher ailleurs. De l'expertise, il y en a, ici. Et surtout, surtout, ce n'est pas une question de goût. C'est une question qui touche l'intelligence, la profondeur et la portée de notre richesse patrimoniale.

Pour la Maison symphonique, il est trop tard. Pour le CHUM, il est trop tard. Mais qu'on se le dise vivement pour notre prochain grand projet.