Au printemps dernier, nous avons lancé un défi à nos chroniqueurs : couvrir une activité dans un domaine qui leur est totalement étranger, puis raconter leur expérience, avec ses hauts et ses bas. Aujourd'hui, Marie-Claude Lortie fait une incursion dans le vestiaire du Canadien, parmi la meute de journalistes... Au menu : une discussion gastronomique avec Mike Cammalleri, une confidence de Carey Price et une invitation lancée à la recrue Brendan Gallagher à partager un repas familial chez notre chroniqueuse.

Je suis arrivée au camp d'entraînement du Canadien, à Brossard, par un lundi matin de septembre radieux, en traversant un immense bouchon pour ensuite aller me garer à l'autre bout du monde.

On m'avait bien dit qu'il y aurait beaucoup de spectateurs pour voir le match entre des fausses équipes formées de vraies recrues et de vrais vétérans. Mais je suis quand même arrivée en retard, dernière à chercher du parking, première à râler, comme si je me refusais à croire à l'ampleur du phénomène tout en me faisant un plaisir de trouver d'entrée de jeu un bon prétexte de contrariété.

>> Lisez aussi: La belle, les recrues et les vétérans

Pourtant, de bonnes raisons de vitupérer contre le hockey, j'en avais déjà suffisamment plein la tête. On accorde beaucoup trop d'importance à ce sport dans la société québécoise. Il y a trop de violence. Les millions ont dénaturé le jeu. Le Canadien ne gagne plus la Coupe.

Non, monsieur. Je ne suis pas une fan.

Des clichés, j'en ai une tonne à vous servir durant toute la saison. Et plusieurs sont même fort valables.

Sauf que voilà. Je m'endors moi-même quand je me les récite.

Je suis donc arrivée au camp d'entraînement du Canadien, à Brossard, un lundi matin, la tête remplie d'autant d'idées préconçues que le parking de VUS, mais avec aussi une envie de trouver autre chose à dire.

En marchant vers la salle des médias, je me suis donc arrêtée pour parler à Bernard Smith, qui avait installé son fils de 15 mois, Zachary, dans sa chaise haute, derrière la vitre, face à la glace. «On lui met des patins cet hiver, c'est sûr», m'a-t-il expliqué. Prof d'éducation physique, pro au golf, M. Smith n'aime pas le hockey, il lui voue un culte. «C'est une religion au Québec et dans ma vie.»

Après avoir écouté d'autres spectateurs me tenir le même genre de discours, je me suis rapportée à mes supérieurs: «Je suis sur la Rive-Sud, mais j'ai l'impression d'être au Vatican et de chercher la foi. En vain.»

Pourquoi le Vatican? D'abord parce que c'est rempli d'hommes partout.

Il y avait bien quelques filles dans les gradins, comme Roxanne Ménard et Dana Batog, deux étudiantes venues passer leur journée pédagogique à l'aréna «parce que c'est inspirant et que ça donne envie de se dépasser de les voir.» Ou Annie «Qu'est-ce que tu veux, le hockey c'est dans notre coeur» Leroux, en congé de maternité et en maillot tricolore, avec son bébé de 8 mois.

Mais côté patrons, joueurs, journalistes, cherchez la femme. Elle est rare. Pour une Chantal Macchabée (RDS) ou une Jessica Rusnak (Team 990), il y a 5, 10, 12, 30 hommes journalistes qui sortent tous leur veston et leur cravate quand vient le temps de monter jusqu'à la galerie de la presse du Centre Bell les soirs de match.

Le journalisme sportif a un petit côté Mad Men.

(En fait, le hockey en général continue d'être très masculin, et je n'ai toujours pas compris pourquoi la marque Chlorox commandite le nettoyage de la glace pendant les parties. Le hockey n'attire pas exactement une foule d'acheteurs de produits pour laver les toilettes.)

Les journalistes qui couvrent le hockey ont aussi leurs rituels. Parfois, on est debout, parfois assis. Parfois, on peut parler, parfois pas. Quand l'entraîneur-chef arrive, on éteint tous nos portables. Quand il repart, on les rallume.

Un matin, après un entraînement, je suis allée papoter quelques minutes avec le gardien de but Carey Price dans le vestiaire des joueurs. Je voulais parler psychologie, aller chercher un message sur la détermination et la persévérance pour les lecteurs, en vue du marathon de Montréal qui arrivait alors à grands pas. Le gardien s'est confié un peu. J'étais contente. Je m'en suis vantée aux collègues: «Personne ne lui parlait, donc je suis allée jaser...»

- Peut-être que c'est parce qu'on n'est pas censé parler au gardien pendant la journée, les jours de match! m'a-t-on répondu en riant.

Une autre fois, j'ai pris la place d'un journaliste radio qui couvre le hockey depuis 200 000 ans. Un matin, je me suis retrouvée toute seule dans le vestiaire à poser des questions à P.K. Subban, ne sachant pas que j'aurais dû être sortie depuis longtemps puisque l'entraîneur Jacques Martin était déjà en plein point de presse. Un peu plus, et j'allais manger à la table des «officiels» des matchs, dans le salon Jacques-Beauchamp, au Centre Bell. Ça me tentait, c'est une des plus agréables, près de la fenêtre, avec vue vers le fleuve.

Pour être vraiment comme une journaliste de hockey, m'avait expliqué le vice-président aux communications du Canadien, Donald Beauchamp, il faut absolument aller manger dans ce salon. C'est là qu'ils se retrouvent tous avant les matchs et pendant les entractes. On y discute hockey, évidemment -trios, recrues, contrats, statistiques- en mangeant une relativement honnête nourriture de cafétéria. Un curry de poulet, du ragoût de boeuf, des pâtes pas terribles, du riz qui me rappelait le Uncle Ben's de mon enfance. Il y a aussi les légendaires hot-dogs grillés, tout comme un buffet de salades garni de légumes plutôt frais qui, contrairement au brun des murs et du tapis, nous rappelle qu'on est bien en 2011. Et quand j'y ai aperçu Subban, lui aussi cravaté - il ne jouait pas ce soir-là -, il sirotait quelque chose qui ressemblait à une infusion.

Un soir, quand le journaliste et auteur de téléséries Réjean Tremblay est arrivé au milieu de tout ça, dans cette vaste scène évoquant un épisode de Lance et Compte, j'ai pensé à Hitchcock. On aurait dit qu'il apparaissait dans son propre film.