L'architecte brésilien Jaime Lerner, chouchou des urbanistes, connaît une méthode très simple pour stimuler la créativité quand vient le temps de concevoir un projet.

Augmenter les enveloppes budgétaires?

Non.

Proposer aux gestionnaires, penseurs et autres planificateurs urbains ou architectes de réaliser leurs rêves, sans aucune considération financière?

Pas du tout.

«Pour trouver des solutions vraiment créatives, explique Lerner, on enlève un zéro au budget. Pour trouver une solution durable? On enlève deux zéros...»

Jaime Lerner, ex-maire de la ville brésilienne de Curitiba, capitale de l'État du Paraná dont il fut aussi gouverneur, aime les idées qui sortent des sentiers battus. Un jour, faisant face à un problème d'entretien dans des quartiers pauvres où ses bennes à ordures n'avaient pas accès, il propose aux résidants d'échanger des billets d'autobus contre leurs sacs-poubelles s'ils les apportent eux-mêmes. Quand il devient gouverneur, il reprend le concept. Lorsque les pêcheurs ne prennent pas de poisson, il les invite à pêcher des ordures pour nettoyer les côtes. L'État leur achète le tout au kilo. Et ça marche.

C'est le défi de ne pas avoir de ressources financières qui nous fait trouver les bonnes idées, explique-t-il. Cela nous oblige à penser à de nouvelles équations entre le prix d'un problème et la valeur d'une solution. L'obstacle finit par ouvrir la voie à l'innovation...

Lerner est de passage à Montréal dans le cadre des Entretiens Jacques Cartier, un événement annuel franco-québécois où des spécialistes de toutes sortes de domaines se retrouvent pour discuter d'enjeux actuels. J'ai rencontré l'architecte-urbaniste hier après un discours donné dans le cadre d'un lunch parrainé par la chambre de commerce du Montréal métropolitain. Le maire Gérald Tremblay y était. Le président de la chambre aussi. Pas une mauvaise idée que ces gens aient entendu ce maître expliquer comment on ne peut pas justifier les projets banals par manque d'argent. Comment les bonnes idées sont celles qui permettent d'aller plus loin, avec autant de ressources. Parfois moins.

Lerner adore les villes. Il les aime mixtes, créatives. Les fonctions, les classes sociales, les origines ethniques: tout doit être mélangé dans la cité pour qu'elle soit vive. Le bouillonnement d'idées se fait dans les tensions, les rencontres entre toutes ces réalités.

Mais pour rendre bien dynamique une ville dont l'énergie fléchit, on peut aussi lui administrer des petits traitements-chocs d'acupuncture, explique l'urbaniste.

Ce qu'il appelle acupuncture, ce sont des interventions pointues, ciblées, qui stimulent des points névralgiques. Un nouveau parc ici, un musée de ce côté-là. Un immeuble innovateur. Une place. Un pont peut-être? Il suffit que ces projets soient motivants, avant-gardistes, qu'ils rafraîchissent les réflexions, apportent de nouvelles solutions, donnent envie de faire plus. «L'idée de l'acupuncture m'est venue parce que la planification urbaine, ça prend beaucoup de temps, dit-il. Parfois, il faut des interventions locales qui vont vite et peuvent donner de l'énergie.»

L'ex-politique a eu le temps, entre ses trois mandats à la mairie et deux à la tête de l'État - il a commencé au début des années 70 et il a pris sa retraite de la politique en 2002 -, de bâtir toutes sortes de grandes théories sur le développement urbain. Il explique notamment qu'il y a trois axes très simples pour le développement d'une ville: la mobilité, la durabilité et la coexistence. Coexistence des gens, des fonctions. La durabilité, elle, parle d'avenir, de développement cohérent, tandis que la mobilité englobe tout ce qui bouge.

Dans ce domaine, sous sa direction, Curitiba a fait école, grâce à un système de bus copié dans 120 autres villes, qui rivalise d'efficacité et de rapidité avec le métro, notamment grâce à des voies réservées et un système d'abribus tubulaires élevés, où l'on paie à l'avance, ce qui minimise le temps nécessaire à l'embarquement et au débarquement des usagers.

M. Lerner est très fier de ce système qui permet à la ville d'effectuer 2,5 millions de transports de personne par jour, un chiffre qu'il se plaît à comparer aux 3 millions du Tube londonien. Quelque 70% des travailleurs de Curitiba utilisent ce réseau terrestre. «Je crois, dit-il, que l'avenir est à la surface.»

Cela dit, que les villes qui ont déjà des métros ne s'inquiètent pas, tout système déjà en place peut être amélioré, poussé plus loin en trouvant des solutions créatives économiques. «L'avenir est aux bus intelligents, aux métros intelligents, aux vélos intelligents...» Bref, aux transports intelligents, qu'ils soient collectifs ou publics mais individuels, comme c'est le cas pour le BIXI à Montréal. À Curitiba, il y a longtemps que la voiture pour aller au bureau n'a plus sa place. On la garde pour les week-ends, pour les voyages.

Et comment on finance toutes ces initiatives collectives et durables? On essaie de décortiquer le problème, de voir le prix de ce qu'il faut faire, mais aussi celui qu'il faudra éventuellement payer si on ne fait rien. On cherche qui est visé, qui a à perdre ou à gagner. Et on met tous ces éléments face à face, comme dans un problème mathématique, pour chercher la réponse. «Tout ce dont on a besoin pour trouver des solutions créatives, dit M. Lerner, c'est une équation de coresponsabilité.»