Si vous allez sur mon blogue, vous avez probablement remarqué que les commentaires des lecteurs ne sont pas toujours éclatants d'intelligence. Vous avez peut-être remarqué aussi qu'ils ne sont pas toujours gentils à mon égard.

Souvent, on me demande comment je fais pour endurer cette méchanceté. Mais en fait, ce que vous trouvez dur n'est rien comparativement à ce qui est filtré et écarté.

Jour après jour, je passe à travers les commentaires publiés par de courageux anonymes. Et jour après jour, je jette à la corbeille virtuelle des écrits d'une bassesse troublante. Insultes personnelles mesquines, notamment au sujet de mon apparence physique, procès d'intention imbibés de misogynie au sujet de mes articles, propos diffamatoires hallucinants sur les gens dont je parle dans mes textes, toujours pires quand ce sont des femmes.

On me dit idiote, débile, «fanatique féministe de merde». Et je vous épargne les propos déplacés sur les façons dont je m'y serais prise pour obtenir mon poste.

Même les sujets les plus sérieux ou tristes finissent par attirer des commentaires scabreux. Sans parler des centaines de fois où on m'a dit de retourner à mes fourneaux et de m'en tenir aux articles sur la cuisine, apparemment la seule chose que je serais apte à faire avec ma maîtrise en science po et mes 23 années d'expérience en journalisme politique, social et économique.

Mais vous savez quoi, malgré ce contact quotidien avec toutes ces injures, j'ai néanmoins été renversée par ce que j'ai lu, la semaine dernière, dans les journaux britanniques au sujet de la violence verbale dont sont victimes les journalistes et blogueuses là-bas. On parle de menaces de viol, de mort. «Parce que je critiquais la prise de décisions politiques économiques néolibérales, on m'a un jour laissé entendre que je devrais être obligée de faire une fellation à une série de banquiers, à la pointe du couteau», a écrit la chroniqueuse Laurie Penny, dans l'Independent, dans un texte cri du coeur.

«La quantité d'insultes sexistes lancées aux blogueuses est la plaie purulente de l'internet», a ajouté Helen Lewis Hasteley dans le New Statesman, précisant qu'entre deux insultes sur son apparence, un lecteur lui avait un jour proposé de boire son sperme.

Dans les médias, tous les blogueurs et gens d'opinion sont soumis à la violence verbale de lecteurs anonymes cherchant un exutoire pour leur colère quotidienne. Mes collègues masculins y ont droit, j'en suis témoin.

Mais les commentaires exprimés aux femmes journalistes sont d'une nature totalement différente, puisant dans une misogynie mesquine, imbibée de sexe, dont on a de la difficulté à croire qu'elle existe encore, cachée et encore non mesurée, mais néanmoins bien visible et si près de nous. Au lieu de répondre à nos opinions par des arguments, on nous dit que commenter l'actualité et exprimer des opinions ne fait pas partie des choses que l'on attend des femmes et encore moins que l'on peut se permettre, à moins que cette apparition publique ne soit justifiée par un look de pin-up.

«Encore aujourd'hui, les attentes à l'égard des femmes sont façonnées par les stéréotypes», résume la présidente du Conseil du statut de la femme, mon amie et ex-collègue Julie Miville-Dechêne. «Et là, sur l'internet, avec l'anonymat, ils s'expriment à l'abri de toutes représailles.»

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Une de celles qui ne seront probablement pas surprises par tout cela est la chef du Parti québécois, Pauline Marois, qui a dû endurer la semaine dernière les propos d'un des députés de son équipe, qui a dit que le fait qu'elle soit une femme empêcherait nombre d'électeurs de voter pour elle.

Le Québec pratiquement au complet a dénoncé ces propos et affirmé qu'il était faux d'avoir une perception aussi arriérée de notre maturité égalitaire, ce avec quoi je suis plutôt d'accord.

Mais ce que je crois aussi, c'est qu'il reste plus de sexisme qu'on ne le croit, fût-il exprimé par un député ou des internautes sans épine dorsale ni cerveau.

Depuis plusieurs années, la raison principale qui est invoquée lorsqu'on discute des difficultés qu'ont les femmes à obtenir réellement l'égalité, notamment dans les différents cercles de pouvoir politiques et économiques, est que la biologie joue contre elles. Maternité oblige, leur carrière ne se développe pas de la même façon. Les structures et les modes de fonctionnement - dont les horaires - les désavantagent.

Demandez à n'importe quel chef d'entreprise ou à n'importe quel politique pourquoi il n'y a pas plus de femmes en haut de l'échelle malgré leurs réussites intellectuelles spectaculaires et leurs diplômes et vous entendrez cet argument.

Ce que nous signalent les commentaires violents et orduriers dont sont inondées les blogueuses et les dérapages politiques, c'est qu'il y a encore, pourrissant sous les apparences officielles, un refus de la différence et de l'inclusion dont les femmes font toujours les frais. Même en 2011, et malgré toutes les complicités, partages et alliances qui se sont bâtis au fil des années entre femmes et hommes de bonne volonté.