Il m'arrive parfois d'avoir envie de lancer un projet à la Yann Martel, l'auteur canadien qui pendant trois ans, a envoyé deux fois par mois un livre choisi au premier ministre Stephen Harper pour le sensibiliser à la culture.

Une de mes idées: faire parvenir chaque mois au maire Gérald Tremblay non pas un livre, mais une idée. Un mois, je lui enverrais un exemplaire du magazine Monoclefaisant état d'un programme municipal novateur en Norvège ou en Australie. Puis, ce serait un lien à un reportage de l'Atlantic Cities ou de Good.is.

Je suis certaine qu'il y a des tas de gens dans son entourage qui lui suggèrent déjà toutes sortes de lectures, mais j'aimerais participer, histoire de m'assurer qu'il soit vraiment bien au courant de ce qui se fait ailleurs, de beau, mais surtout de bien.

Tenez, ce mois-ci, je l'enverrais au cinéma. Je lui recommanderais d'aller voir Urbanized, de Gary Hustwit, qui sera présenté au Cinéma du Parc, à partir du 19 novembre.

Si vous êtes amateur de graphisme ou de design, vous connaissez peut-être déjà ce documentariste, auteur de Helvetica, un film sur l'impact de la typographie dans nos vies et Objectified, sur les... objets. Urbanized est le dernier élément de la trilogie et s'intéresse à l'organisation des villes, leur sens, leurs problèmes et leurs solutions.

Évidemment, la cité est un sujet beaucoup trop vaste pour qu'on en fasse le tour social, culturel, politique et économique en 1 h 25.

Mais comme l'explique son réalisateur en entrevue téléphonique, «il n'y a pas suffisamment de circulation d'idées». En ciblant certains thèmes et en utilisant des cas urbains précis pour les illustrer, le film en diffuse un paquet.

Dès le début, par exemple, on rencontre le maire de Bogota, Enrique Peñalosa, qui nous parle des voitures auxquelles on attache trop d'importance, de transport en commun - sa ville a adopté le modèle de bus ultrarapide à la Curitiba - de vélo et de stationnement.

«Dites-moi où, dans la Constitution, on garantit le droit au parking», lance-t-il à une caméra visiblement amusée, avant de partir en vélo expliquer que construire des pistes cyclables, c'est plus qu'une solution de transport. C'est un geste démocratique pour donner aux moins riches le même droit de se déplacer que ceux qui ont les moyens de s'offrir une voiture.

De Brasilia à Stuttgart, en passant par Paris, New York, Brighton, Copenhague et bien d'autres villes, la caméra nous montre ainsi des gens, des rues, des expériences. On nous explique pourquoi le modèle des pistes cyclables de Copenhague, par exemple, protégées de la rue par les voitures garées, permet aujourd'hui à 37% des travailleurs de se rendre au travail en vélo. On nous explique comment un faubourg du Cap, en Afrique du Sud, a construit des havres urbains sécuritaires où les résidants peuvent se réfugier s'ils se sentent menacés, une mesure qui a redonné vie à des quartiers où on ne voulait plus sortir de son logement.

On voit des images de mobilier urbain à New York, chaises et tables qui permettent aux citoyens de s'approprier des espaces publics, notamment des terre-pleins, pour en faire de petits parcs. On s'attarde autant au High Line qu'à des expériences ponctuelles d'artistes de la Nouvelle-Orléans.

C'est une sorte de collage, qui donne envie de sortir des clichés sur la ville et de penser aussi à petite échelle. «Un projet fantastique qui a eu lieu cet automne, raconte Hustwit, a été le 'Park (ing) Day', vous connaissez?» Le 16 septembre, dans des dizaines et des dizaines de villes du monde entier, un organisme enjoignait les citoyens à mettre des sous dans un parcomètre, afin d'utiliser l'espace de stationnement ainsi réservé comme parc, avec chaises, tables, pique-nique...

Dès le début du film, le cinéaste prend position en montrant Brasilia, une des villes les plus «planifiées» - il y a même une entrevue avec Oscar Niemeyer, le disciple de Le Corbusier qui a grandement contribué à cette création de toutes pièces. Mais Brasilia, aussi magnifique soit-elle, est une ville qu'on dit souvent sans âme, où il est difficile de circuler à pied à cause des trop grands espaces. Le film démontre ensuite qu'il y a des limites à la planification et que ce sont souvent les projets à la Jane Jacobs penseuse américano-canadienne de la fin du XXe siècle , petits et localisés, qui contribuent à construire le caractère convivial des métropoles.

Montréal n'est pas dans le documentaire. Et ce n'est pas parce qu'elle n'a rien à proposer, assure le cinéaste. Chaque ville a ses problèmes et ses solutions, dit-il. Il n'existe, à cet égard, rien d'universel.

Et des petits projets intéressants, c'est vrai qu'il y en a ici. Jeudi encore, le Centre d'écologie urbaine de Montréal a lancé son quatrième projet-pilote Quartier Vert, qui vise à transformer le sud-est de Notre-Dame-de-Grâce, une zone traversée par une voie ferrée et l'autoroute Décarie et touchée par la construction du nouveau CUSM. Le projet vise à verdir les rues, à favoriser la circulation piétonne, à encourager l'agriculture urbaine, à réduire la chaleur et la vitesse dans les rues... Bref, le projet est vaste, mais issu de discussions exhaustives avec les résidants. Allez voir ce quartier maintenant, parce que si le projet fonctionne, il ne sera plus le même.

Il serait bien qu'un jour, Montréal apparaisse dans un documentaire sur les villes qui trouvent des solutions grâce à de tels projets, dont la mairie de l'arrondissement, dirigée par Michael Applebaum, devrait être fière.

D'ailleurs peut-être que lui aussi pourrait aller au cinéma, la semaine prochaine, faire le plein d'idées.