«Ça, un caniche royal, faut pas que ça court après avoir mangé, l'estomac peut leur retourner. Et le poil pousse vite! Oh, du toilettage au mois comme il faut...»

Le réparateur est couché dans ma cuisine en train de travailler sur mon lave-vaisselle, mais ce n'est pas d'arrivée d'eau ou de drain que l'on discute. Mon nouveau chien hypoallergénique, qui nous regarde, dubitatif, est au centre de l'attention.

Le réparateur a lui aussi un grand caniche, trois en fait, donc les conseils, il est prêt à en prodiguer profusément.

«C'est tout un contrat, ça, je vous le dis, mais on les aime-tu?»

Ses opinions semblent inépuisables, comme celles d'une foule d'autres propriétaires de chiens que je découvre depuis le début de ma nouvelle vie, il y a quelques semaines.

Mes collègues sont différents bien que je sois exactement au même bureau: il y a ceux qui viennent voir les photos de mon toutou et les autres qui me trouvent gaga.

Mes voisins ne sont plus les mêmes, bien que je n'aie pas déménagé. Il y a maintenant ceux qui marchent avec moi aux aurores et à la nuit tombée, sac dans la poche pour ramasser les crottes, geste impensable «avant» et qui devient on ne peut plus banal «après». Et puis, il y a tous les autres qui me regardent comme si j'étais devenue folle. L'hypothèse n'est pas totalement farfelue, vu les nuits entrecoupées et les pipis par terre. Mais alors il faut inclure avec moi environ 840 000 autres Québécois, sachant que près d'un ménage sur deux compte chats ou chiens. Une belle gang.

Parmi ces gens, il y a le maire François Croteau, de Rosemont-La Petite-Patrie, qui a deux chiens et décidé de faire interdire la vente dans son arrondissement de chiots nés dans des usines à animaux. Une première à Montréal. Le processus a été lancé il y a deux semaines. Les animaleries existantes - il y en a deux - pourront continuer. Mais les nouvelles ne pourront s'installer.

Le but de cette opération, que tous les autres arrondissements devraient imiter, n'est pas d'empêcher les Montréalais d'adopter de nouveaux animaux. L'objectif est plutôt de les encourager à le faire de façon responsable, soit auprès d'éleveurs sérieux et attentionnés - les usines à chiots sont insalubres et inhumaines -, soit, encore mieux, auprès de refuges ou de gens qui ont un chien et veulent s'en débarrasser. Avec ce scénario - privilégié haut et fort par le président Obama, vous vous en rappelez? -, on lutte contre la surpopulation canine.

Tout comme Richmond, en Colombie-Britannique, banlieue de Vancouver, la Ville de Toronto a déjà adopté un règlement semblable pour permettre aux animaleries de vendre uniquement des chiens provenant de refuges et d'autres organismes consacrés à la protection des animaux. Gatineau songe à le faire. Et aux États-Unis, plusieurs États et villes s'intéressent à des mesures semblables, de l'Ohio au Texas, en passant par le Missouri et Los Angeles.

Au Québec et à Montréal en particulier, le problème des animaux abandonnés est particulièrement criant et, en ce sens, le geste de l'arrondissement est crucial et devrait être suivi.

On estime qu'entre 30 000 et 50 000 animaux sont abandonnés chaque année à Montréal, entre autres au moment des déménagements. De ce nombre, plusieurs sont euthanasiés. À Los Angeles, l'an dernier, 56 000 chats et chiens ont abouti à la fourrière, un chiffre record.

La comparaison est douloureuse.

De toute évidence, il y a trop de gens qui se procurent un chien ou un chat sans comprendre l'ampleur de la tâche ou sans prendre le geste suffisamment au sérieux. Cesser de vendre des animaux en boutique, souvent issus d'usines à chiots, afin qu'on ne puisse plus, entre l'épicerie et le nettoyeur, s'en procurer un impulsivement pour en faire cadeau aux enfants - il est tellement mignoooooon! - est un premier pas pour désamorcer le processus.

Encadrer la stérilisation des animaux est une autre voie. D'ailleurs, Bernard Vallat, directeur général de l'Organisation mondiale de la santé animale, qui était de passage à Montréal il y a une dizaine de jours, croit que les pays qui en ont les moyens doivent se pencher sur cette question. Et il faut aussi, dit-il, réellement informer la population sur les usines à chiots. «Il faut se demander si l'animal a été sevré correctement, s'il été élevé dans des conditions sanitaires adéquates, s'il a été exposé à des maladies contagieuses et se demander quelle a été son alimentation.»

Ce que les acheteurs ne savent souvent pas, c'est qu'en achetant un animal provenant d'un éleveur douteux - que ce soit en animalerie ou directement chez lui par l'entremise des petites annonces de style Kijiji -, ils risquent d'acheter une bête qui non seulement est née et a vécu ses premiers temps dans des conditions désastreuses, mais qui en est aussi sortie mal en point, fragile. Ce n'est pas toujours le cas et je suis sûre que vous avez mille exemples réussis de chiens achetés en animalerie à me donner en contre-exemple, mais la probabilité est élevée.

Et la dernière chose dont on a besoin, sur cette planète, ce sont des animaux naissant en mauvaise santé, qui seront au pire abandonnés ou euthanasiés par leurs propriétaires et au mieux adoptés par des familles qui s'y attacheront et auront ensuite le coeur brisé de les voir dépérir trop tôt.

Un cadeau à faire à personne.