Ferran Adrià est au T! à Montréal.

Ferran Adrià est chez Bremner.

Ferran Adrià donne une conférence devant les étudiants de l'Institut de tourisme et d'hôtellerie.

Depuis trois jours, les amateurs de gastronomie se délectent sur les médias sociaux en suivant les allées et venues de la «légende» catalane.

Où ira-t-il manger ensuite?

Aime-t-il le sirop d'érable?

Est-il en train de tomber amoureux de la ville...

Pour ceux qui s'intéressent à la haute cuisine, savoir que Ferran Adrià est attablé dans un restaurant à Montréal, c'est un peu comme voir Rafael Nadal faisant du BIXI ou Madonna sortant de l'hôtel St-James. Le chef est une immense star. Son travail au restaurant elBulli, sur la Costa Brava, a déclenché une révolution qu'on a appelée «moléculaire» ou «techno-émotionnelle». Avant qu'il ne ferme, le 31 juillet dernier, des millions de personnes essayaient chaque année, en vain, d'y avoir une place. Aujourd'hui, le restaurant Tickets qui a pris le relais à Barcelone, en version moins expérimentale, sous la houlette de son frère Albert, croule lui aussi sous les demandes de réservation.

Le chef, le grand chef, est en ville, invité par l'Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec (ITHQ), qui lui a remis hier soir un diplôme honorifique.

Le matin, les fans montréalais de celui qui a conceptualisé les «espumas», les «sphérifications» et toutes sortes d'autres techniques de haute voltige ont aussi rempli la salle Pierre-Mercure du centre Pierre-Péladeau pour l'écouter donner une conférence, organisée par l'ITHQ.

Avec beaucoup d'autodérision et d'humour, il y a parlé pendant deux heures sur un ton destiné d'abord et avant tout aux étudiants de l'école de cuisine. Créativité, motivations, évolution de la cuisine et mille autres sujets sont passés sans qu'on voie les minutes s'écouler. La salle buvait ses paroles.

Lorsqu'il a présenté une courte vidéo montrant ses inventions les plus célèbres, comme la soupe à l'alphabet - où les lettres sont faites de soupe gelée -, les olives en trompe-l'oeil - des bulles de jus d'olive - ou le papier évanescent aux fleurs - de la barbe à papa pressée -, on l'a applaudi.

En entrevue, le chef est chaleureux et beaucoup plus relax que lorsque je l'ai interviewé chez elBulli, il y a un an. Faire rouler le restaurant était une tâche colossale et épuisante. Dans la cuisine le premier à 9h et le dernier à 2h le lendemain matin, jour après jour. Quand il a annoncé sa décision d'arrêter et de transformer son restaurant en centre de recherche, il a expliqué que son niveau de travail était trop élevé pour être soutenu à long terme. C'est comme si on demandait aux grands couturiers de dessiner leurs collections et ensuite d'aller les coudre à l'usine, a-t-il expliqué. Il était temps de faire une pause.

À Montréal, le chef est venu humer l'air, se balader. Après une quinzaine d'années de travail intense, il veut prendre le pouls de la planète cuisine. Buenos Aires, Lima, Boston, Montréal... Les voyages s'enchaînent. «Ce que je sens ici, c'est la passion. Il y en a plein ici, c'est incroyable», lance le chef qui parle un français rapide, mais bien coloré. «C'est le plus important, la passion, et il y en a ici.»

En Europe, on ne sent pas ça, note-t-il. On ne sent pas la même énergie. L'heure est plus morose, voire blasée. «Dans les pays émergents, il y a ça. C'est très joli pour moi, les pays émergents.»

Il mentionne le Pérou où la cuisine, devenue «arme sociale», produira selon lui, d'ici 10 ans, quatre ou cinq restaurants de réputation mondiale, en plus de l'Astrid y Gastòn, déjà reconnu. Il parle de la Chine aussi.

Le Canada?

«On ne sait pas, peut-être qu'il y a là une grande créativité qu'on ne sait pas», lance-t-il en montrant la salle où était assis les étudiants de l'ITHQ venus l'écouter. «Il y a eu le Danemark! Et avant 1994, l'Espagne n'était pas dans le top mondial. Pourquoi pas? Maintenant ça peut sortir de n'importe où. Nous allons voir!»

Le chef n'est pas au Canada pour dépister des produits régionaux uniques qu'il pourrait utiliser dans sa cuisine avant-gardiste. S'il le fait un jour, précise-t-il, il le fera en revenant avec des membres de son équipe, comme Oriol Castro ou son frère Albert. «Alors on travaillera toute la journée et on passera systématiquement à travers des listes et ce sera systématique», dit-il.

Adrià repart demain pour Boston, car il donne maintenant des cours à l'Université Harvard, une de ses mille activités post-restaurant. Éventuellement, il rentrera en Catalogne, où il travaille avec un architecte avant-gardiste, Enric Ruiz Geli, sur le siège social de sa fondation, qui aura des airs de base extraterrestre écolo extrême. Là, il travaillera dans une cuisine laboratoire d'où il entend alimenter en direct, sur l'internet, tous les cuisiniers et chefs du monde prêts à étudier ses créations.

Pour manger la cuisine d'Adrià, dit-il, il faudra aller partout, partout où on essaimera ses trouvailles.

Mais pour de la cuisine «elbulli-ienne» plus précise, il recommande la cuisine de ses amis Joan Roca du Celler de Can Roca, à Girone, ou le Minibar du chef José Andrès, à Washington. Et à Montréal? À Montréal, personne ne fait de cuisine à la Adrià. Mais pour marquer le passage du chef, le Restaurant de l'Institut, à l'ITHQ, rue Saint-Denis, met la cuisine moléculaire au menu du 28 novembre au 22 décembre. J'irai sûrement y faire un tour.