Lorsqu'on quitte l'aéroport de Dorval en direction du coeur de la ville, par la 20, le paysage bordant la route n'est pas ce qu'on appellerait grandiose.

Usines, friches, entrepôts, quartiers au dos tourné...

Il n'y a qu'à l'approche du centre-ville, lorsqu'on voit la silhouette de gratte-ciels poindre au loin que le point de vue devient plus charmant, même si le gris demeure le ton très dominant. Et même s'il faut, pour en arriver là, rouler longuement, parfois aussi fort lentement, sur de longs rubans de béton, tristes comme une réunion de bureaucrates éteints.

Sommes-nous condamnés à une entrée de ville aussi morne?

Non. Même le ministère des Transports du Québec (MTQ) en convient. C'est pour cela qu'il a demandé à la chaire en paysage et environnement de l'Université de Montréal, en mai dernier, de gérer YUL-MTL, paysages en mouvement, un concours international d'idées sur la transformation de ce couloir Trudeau-centre-ville.

Mardi, les noms des gagnants ont été dévoilés. Le jury a couronné, ex aequo, trois propositions: celle d'une firme de Montréal - Gilles Hanicot -, une autre de New York - dlandstudio -, ainsi que le projet d'une équipe de Toronto - Brown and Storey Architects. En outre, 11 travaux ont reçu des «mentions» parce que leurs recherches comportaient chacune un élément pertinent méritant d'être intégré à la réflexion qui suivra, m'a expliqué mardi en entrevue le président du jury, l'architecte français Édouard François.

Forêt d'éoliennes alimentant énergiquement le grand axe de transport vers le centre-ville, couloirs verts parfois suspendus fonctionnant comme des points de suture sur la coupure bétonnée de la 20, réseaux de communications multiples enlaçant et ouvrant l'axe de communication pour défaire son caractère uniquement est-ouest: voilà le genre d'idées qui ont été présentées, expliquées et retenues.

Le but de l'opération, explique M. François, n'était pas d'arriver avec une solution toute faite, un plan clés en main prêt à remettre aux ingénieurs. L'objectif n'était pas non plus de penser à un monument qui définirait l'arrivée à Montréal en un coup de pinceau, façon grande arche ou tour vertigineuse, même si, précise l'architecte, certaines idées peuvent avoir des expressions monumentales. «Ce dont on parle, c'est comment une ville se met en scène par son entrée, note le président du jury. Un peu comme une vidéo, avec une succession d'images.»

Les projets proposés sont donc des pistes de réflexion que le MTQ, Montréal et la Communauté métropolitaine de Montréal et même les fédéraux peuvent maintenant emprunter pour repenser tout ce couloir et redonner vie aux «zones de malaise» et autres paysages «délaissés».

Car les thèmes abordés touchent tout le monde et tous les ordres de gouvernement. On déborde largement du simple couloir routier. Les idées lancées englobent un long bandeau allant jusqu'au canal de Lachine et jusqu'à la falaise Saint-Jacques, sur 15 km.

On se demande s'il ne faudrait pas repenser le zonage pour répartir l'action sur cette lanière urbaine est-ouest différemment, en intégrant des parcs et passages verts, des axes de déplacements piétons nord-sud liant les quartiers, en réorganisant les concentrations industrielles et commerciales. On se demande s'il ne faut pas pousser plus loin la réflexion sur le transport le long de cet axe, sur le rôle de la voiture, sur la liaison directe sur rail entre l'aéroport et le centre-ville. Évidemment, toute la refonte de Turcot est abordée, élément majeur et énorme, donc crucial visuellement mais surtout structurellement puisqu'il définit le type de vie urbaine qui peut exister tout autour: «Ne doit-on pas faire évoluer des dogmes routiers ancrés dans les années 20, du temps de Le Corbusier, alors que les voitures roulaient à 50 km/h?», demande Édouard François.

La possibilité de mettre en valeur l'histoire industrielle du couloir a été explorée. Le jury formé de cinq membres, dont un ingénieur du ministère des Transports, a aussi retenu l'idée «astucieuse» lancée par l'équipe de Catalyse urbaine - à qui on doit notamment les murs végétaux de la Fonderie Darling - de conserver l'ancien échangeur Turcot, témoin de son époque, au lieu de le démolir. Le tout pour en faire un échangeur vert, un parc linéaire, inspiré du High Line de New York, qui permettrait de circuler à pied ou en vélo dans cet univers suspendu où la voiture prend actuellement toute la place.

Trop vieille, la structure, pour faire ça? Pas du tout, rétorque Édouard François, qui a étudié aux Ponts et Chaussées. «Ce qui use les structures, ce sont les accélérations et les freinages des poids lourds.» Sans ces coups répétés, le lacis de béton peut encore tenir bien des années.

«On ne cherche pas à contredire un dessin», précise M. François quand je lui souligne que Turcot deuxième génération existe déjà sur papier. «Ce qu'on essaie de faire, c'est créer des envies.»

Quelle jolie réponse pour encourager les citoyens et les décideurs à avoir envie à nouveau de rêver.

Pour lire et voir des plans illustrant les différents projets de ce concours YUL-MTL, Paysages en mouvement, on peut aller sur le site internet de Montréal Ville UNESCO de design à mtlunescodesign.com.