Vous savez, n'est-ce pas, comment fonctionne la grande roue qui détermine ce qui est avant-gardiste, avant d'être simplement à la mode puis totalement fini?

C'est un grand cercle qui tourne sans arrêt et qui, au fil des années, remue les idées pour remettre en vogue aujourd'hui ce qui était totalement dépassé hier. Actuellement, en faire le tour prend, je dirais, une petite quarantaine d'années.

Rien n'y échappe, des tendances alimentaires aux styles littéraires, en passant par la longueur des manteaux et des jupes. Qu'on parle de lunettes Vuarnet, d'architecture minimaliste, de Top-Sider ou de végétarisme, tout finit par se démoder et par revenir.

Le bon côté de cette grande roue, à part de nous ramener des souvenirs, c'est qu'elle permet de porter un regard neuf sur des réalités anciennes. Et c'est sur elle que je compte, actuellement, pour nous faire redécouvrir les installations olympiques.

Oui, en commençant par le Stade. Notre très gros stade. Le bâtiment honni.

Tellement «out» pendant tant de temps avec son architecture utopiste éléphantesque extra béton et ses mauvais souvenirs, il est mûr pour qu'on le retrouve «in», avec tous ses défauts, mais aussi sa majesté, son style unique un peu Star Wars, ses souvenirs, son «esprit du lieu» inspirant et sportif, imbibé de dépassement...

Vous pensez que je suis tombée sur la tête?

Allez voir les chaises en métal et plastique d'origine qui longent encore le mur à l'entrée de sa tour. Je parie que vous paieriez un bon prix pour les acheter chez un brocanteur. Du 70s totalement allumé.

Si vous n'êtes pas amateur de design vintage, alors partez plutôt par une belle journée bien claire traverser la montagne d'ouest en est par la voie Camilien-Houde. En aboutissant, sur le versant est, au tout début de l'avenue du Mont-Royal, regardez au loin et vous verrez le Stade. Une des plus belles - rares - perspectives montréalaises. Jurez-moi que ce n'est pas magnifique.

Je sais, je sais, vous préféreriez qu'il y ait là une tour Eiffel, le Colisée, une grande arche de la Défense, un reflecting pool à la Washington, un musée signé Frank Gehry ou Rem Koolhaas... Sauf que Montréal n'a jamais eu Haussman et n'est pas Paris ni Rome ni New York. La ville a eu Jean Drapeau et aucun autre maire réellement constructeur depuis. Elle n'a même pas encore 375 ans et depuis l'effervescence autour de l'Expo universelle de 1967, la ville a profité de peu de grandes périodes fastes côté urbanisme à part la tenue des Jeux olympiques en 1976.

On peut tenter aujourd'hui de réclamer mieux et de travailler pour que des constructions marquantes, rivées vers l'avenir, façonnent son visage de demain. Mais en attendant, un des vestiges les plus grandioses de notre passé architectural, il est là, angle Pierre-de-Coubertin et Pie-IX, à deux pas de la station Viau.

Le détester encore ne mène à rien.

Un comité présidé par l'ancienne journaliste Lise Bissonnette, mandaté par la Régie des installations olympiques, a mené durant tout l'automne une consultation sur l'avenir à donner à ce lieu, ce quadrilatère de 338 000 mètres carrés, qui inclut le Stade, mais aussi le Biodôme, le futur Planétarium, le stade Saputo, le centre Pierre-Charbonneau et qui, vu du sommet de la tour penchée, a des proportions dignes de Fort McMurray.

Ce groupe doit produire d'ici la fin de 2012 un rapport exhaustif sur la question. Que faire avec ces installations? Déjà, le simple lancement des questionnements a remis au goût du jour, chez les urbanistes, architectes, historiens et autres amoureux de Montréal, les discussions sur ce morceau de patrimoine qu'on a choisi de bouder activement depuis 35 ans. D'ailleurs, le dernier numéro d'Esquisse, revue de l'Ordre des architectes, porte sur la question. (Transparence oblige: une table ronde a été organisée par la revue pour discuter du sujet et on m'a invitée à donner mon point de vue.)

Pour ceux qui ont connu tout le feuilleton du Stade, du gouffre financier aux déchirures du toit, qu'on discute encore en comité de cette colossale épine dans le pied de la métropole peut sembler loufoque.

Pour bien des sceptiques, on devrait même non seulement se taire, mais carrément démolir ce symbole patent de notre talent pour solidement rater un projet. («L'échec par excellence, c'est ce qui s'est fait à Montréal», a récemment confié à mon collègue Karim Benessaieh Romain Roult, de l'UQAM, auteur d'une thèse de doctorat sur la reconversion des installations olympiques.)

J'espère, toutefois, qu'on est prêts pour mieux. Prêts à relancer cette zone avec toute l'affection lucide qu'elle mérite, toute l'imagination aussi. Le but: humaniser, verdir, rendre convivial un lieu qui a quelque chose de stalinien dans sa froideur, tout en remettant de l'avant l'esprit sportif qui en a été le sens premier.

Nouveau toit réellement rétractable qui permette l'organisation de grands événements d'athlétisme, projet-pilote de cuisine de rue qui civilise les espaces publics, conversion du béton en gazon, exploitation des formes étranges du Stade pour des activités sportives extérieures éclatées, percée de nouveaux liens de communication qui rendent le lieu perméable aux déplacements humains simples - à pied, à vélo, en skate -, aménagement de pistes de ski de fond/vélo suspendues et ludiques façon montagnes russes, escalade sur les parois du Stade (ou de la tour), arbres, fleurs... Il y a mille façons de rendre ce paradoxal îlot de chaleur rempli de couloirs glaciaux et venteux plus douillet, plus amusant. Et certains ne demandent pas des investissements qui se chiffrent en dizaines de millions.

Fou?

Oui. Mais c'est ainsi que se construisent les grandes villes. Ce projet olympique l'était depuis le départ. Il ne demande maintenant, 35 ans plus tard, qu'à être réellement achevé avec réalisme, mais aussi encore beaucoup de créativité.