Il y avait beaucoup d'idées, de bonne volonté, de détermination, mais aussi beaucoup d'exaspération dans la salle vendredi dernier, aux consultations publiques sur l'avenir de Griffintown.

Quand l'urbaniste de l'Université de Montréal Gérard Beaudet est arrivé sur scène, en fin de journée, et qu'il a commencé sa présentation en lançant, en substance, que faire de l'urbanisme ce n'est pas la même chose que négocier des projets de construction avec des promoteurs, il résumait la pensée de bien des gens. Même chose pour la fondatrice du Centre canadien d'architecture, Phyllis Lambert, qui a demandé à chaque fois qu'elle s'est rendue au micro ouvert au public: pourquoi déjà fait-on des consultations alors que de gros projets de construction sont DÉJÀ en marche?

J'avoue que lorsque j'ai vu passer cet automne sur Twitter la sympathique invitation vidéo de l'Office de consultation publique de Montréal sur Griffintown, je me suis moi aussi posé la question à voix haute: pourquoi sonder maintenant alors que plusieurs projets, comme le Bassin du Havre et District Griffin, sont déjà en marche? La Ville a donné son accord, le maire était là pour les conférences de presse organisées pour donner les coups d'envoi. Des centaines de millions de dollars sont engagés. Et des sommes publiques - à lui seul District Griffin a reçu 29 millions - ont déjà été réservées pour la mise à niveau des infrastructures municipales.

N'est-ce pas un peu surprenant qu'on consulte maintenant?

D'habitude, soit on le fait avant, option optimale, soit on ne le fait pas du tout, ce qui est clairement le plus mauvais des scénarios. Mais le faire au milieu? Voilà qui doit être la voie la plus surprenante.

Lorsque j'ai demandé au maire de l'arrondissement, Benoit Dorais, de Vision Montréal, s'il était prêt à remettre des projets en question à la suite des résultats des consultations, il m'a répondu que ce qui est en jeu, c'est le 70% de Griffintown (qu'on définit maintenant comme allant de George-Vanier à l'autoroute Bonaventure et du canal de Lachine jusqu'à Notre-Dame Ouest) qui n'est pas en chantier.

Donc, si je comprends bien, les discussions ne touchent pas la zone du «Programme particulier d'urbanisme» qui se construit déjà. Ce PPU, c'est notamment la zone le long du canal de Lachine dont on a beaucoup parlé il y a quatre ans quand le promoteur Devimco est arrivé avec un projet ultra contesté de plus d'un milliard, digne de ce qu'il a fait à Brossard avec son Dix30, mais qui n'a jamais levé. En 2010. la Ville a finalement dit oui à un projet révisé, transformé et baptisé District Griffin, toujours pas de calibre à gagner des prix d'architecture, d'urbanisme ou de développement durable, mais apparemment suffisant pour la mairie.

Entre-temps, Prével a aussi lancé les Bassins du Havre.

Bref, nous voilà dans une situation tout à fait inédite où d'un côté on consulte et de l'autre on laisse les promoteurs construire leurs appartements et leurs commerces... C'est formidable. Il y en a pour tout le monde. Sauf pour les sceptiques.

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Évidemment, on nage ici dans une problématique de verre à moitié plein ou à moitié vide.

D'un côté, on peut se lamenter - et j'en suis - du fait que d'importantes décisions ont déjà été prises, que certains importants contrats ont déjà été accordés sans que les projets soient suffisamment intelligents et visionnaires et qu'il est trop tard pour sauver les meubles.

De l'autre, on peut se dire que c'est quand même mieux que rien que cette consultation tardive, car mieux vaut tard que jamais... Si l'administration a finalement remarqué ce vent nouveau soufflant sur la ville, surtout chez les Montréalais qui lisent, s'informent, voyagent, échangent, et voient bien qu'ailleurs, dans les autres villes progressistes, l'exigence citoyenne porte ses fruits, eh bien si la Ville a finalement senti ça, tant mieux. Il faut, effectivement, commencer quelque part.

Il n'est peut-être pas trop tard pour sauver les ateliers d'artiste menacés par les promoteurs, pas trop tard pour assurer la mixité sociale qui assure une certaine authenticité urbaine aux quartiers retapés. Pas trop tard pour laisser une âme aux rues, avec des bâtiments historiques bien réparés et non gâchés, avec de la verdure, du transport collectif, des familles, des personnes âgées, des étudiants, des professionnels... Pas trop tard pour piloter des projets qui n'ont pas l'air d'être faits de carton-pâte, mais qui sont issus de réelles réflexions intelligentes en design et en architecture. Pas trop tard pour des projets qui ne multiplient pas à Montréal des chaînes de boutiques et de supermarchés vus et revus dans les centres commerciaux, des projets qui posent un regard nouveau sur notre quotidien en encourageant le transport, la consommation, la construction responsables...

«D'une certaine façon, il n'est jamais trop tard», a répondu un des spécialistes invités à la discussion, Ken Greenberg, architecte spécialisé en urbanisme, ancien directeur du design urbain à la Ville de Toronto, quand Mme Lambert a demandé, vendredi, devant les centaines de personnes de tous les horizons réunies pour la consultation, à quoi rimait ces discussions alors que les changements sont déjà non seulement amorcés, mais «très avancés».

Pas trop tard?

On veut le croire.