Le défilé de mode n'est pas du tout commencé, mais le spectacle, lui, va bon train. Devant moi, il y a un grand gars avec des talons hauts et des collants en résille, déchirés. Arrivent deux filles pressées avec des toques en fourrure légèrement surdimensionnées que Michel Strogoff, le héros du roman, n'aurait probablement pas détestées.

Non, on n'est pas à Soho ni à Hackney, où se plaît l'avant-garde londonienne.

On est rue Saint-Paul, dans le Vieux-Montréal.

Et partout, dans cette foule bigarrée venue assister à la Semaine de mode, la botte d'armée et la paillette règnent. La paillette façon Liberace ou robe de patineuse artistique: charnue, saturée. Certaines portent même des shorts en paillettes, comme d'autres arborent le short en tweed ou en lamé. Et chez les hommes, le retour du pull de «mononcle» à motifs multicolores post-Floride se fait sentir...

C'est en couvrant mes tout premiers défilés de mode à Paris, il y a 257 ans - Carla Bruni défilait encore, c'est tout dire -, que j'ai découvert à quel point l'intérêt de ces événements est souvent dans l'auditoire autant que sur les passerelles. Les acheteurs des grands magasins et des boutiques-clés sont là, avec leurs calepins de notes et leurs looks du tonnerre, certains fraîchement débarqués de l'avion. Les rédactrices en chef des grands magazines de mode aussi, évidemment. Souvent, il y a même quelques vedettes du cinéma ou de la musique.

Cette semaine, en me baladant au Marché Bonsecours où a lieu l'événement de quatre jours, j'ai d'ailleurs croisé l'animatrice Geneviève Borne et les gars de Radio Radio, les rappeurs acadiens, venus assister au défilé d'Ève Gravel ou de Marie Saint Pierre.

Bon, on n'est pas à Paris ou à New York, entre Gwyneth Paltrow, Anna Wintour et Emmanuelle Alt (rédactrices en chef des Vogue américain et français) et Madonna, mais à vrai dire, la Semaine de mode de Montréal a pris du coffre avec les années. On sent une certaine électricité. Quand on finit par entrer, on est content d'avoir réussi à franchir les lignes. Et dans les premières rangées, il y a nos vedettes (les membres de Simple Plan ou Arcade Fire y ont été vus à quelques occasions) et nos journalistes, comme Denis Desro, rédacteur en chef mode du Elle Québec, ou Sophie Banford, nouvelle numéro un chez Clin d'oeil.

Et on les observe en se demandant, comme dans le fameux film sur les coulisses de Vogue, ce qui les fera cliquer pour leur September Issue...

Cette semaine, il y avait 150 journalistes canadiens et une dizaine de journalistes de New York, de Russie, du Japon et de Chine aux défilés dans le Vieux-Montréal. «Les Chinois étaient très présents», explique Jean-François Daviau, coprésident de Sensation Mode, la société qui organise la Semaine de mode. Il précise aussi qu'une dizaine d'acheteurs ont aussi fait le voyage. «Ils cherchent des choses qui ne sont pas faites en Chine!»

Si on met tout le monde ensemble - acheteurs, médias, public -, Sensation mode estime qu'entre 20 000 et 25 000 personnes ont assisté aux défilés qui ont pris fin hier.

Le but de l'opération n'est pas nécessairement de convaincre sur-le-champ un acheteur d'une grande chaîne ou d'un site de vente en ligne de prendre toute la collection de Marie Saint Pierre ou de Rudsak, même si ce serait formidable. Le but, m'explique M. Daviau, est plutôt de créer une notoriété pour les créateurs. Car c'est cette reconnaissance qui les aide ensuite à commercialiser leurs produits, dans d'autres forums.

La Semaine de mode est donc là pour nourrir un buzz. Un buzz autour de Montréal, que l'on sent déjà dans plusieurs autres milieux créatifs - musique, cinéma, danse contemporaine, gastronomie - depuis quelques années. Mais un buzz aussi autour de noms de designers: Denis Gagnon, Marie Saint Pierre, Rudsak, Mackage...

Parce que ces noms progressent. Petit à petit.

Oui, demeure toujours un certain sentiment que la mode montréalaise se démène et tire parfois le diable par la queue. Chaque saison, on se demande un peu qui sera aux défilés. Il n'y a pas de rendez-vous incontournable, comme à Paris et à New York où on est certain de toujours retrouver les canons. Cette saison, par exemple, le très talentueux Denis Gagnon n'est pas au Marché Bonsecours. Philippe Dubuc, Harricana et Mackage non plus.

Mais leur absence ne veut pas dire que l'événement a perdu sa pertinence, car de nouvelles figures prennent leur place à elles. On pense à Ève Gravel dont les tenues se vendent maintenant à New York et à Portland, aux deux créateurs d'Unttld, à Tavan et Mitto qui revient en force.

Dans un monde où les grandes marques du luxe se retrouvent partout, pareilles de Pékin à Los Angeles, en passant par Milan et Paris, il y a un intérêt pour le super différent, l'unique, le microgriffé. C'est dans ce créneau que des villes de mode périphériques comme Barcelone, Stockholm ou même Istanbul, et Montréal évidemment, peuvent se tailler une place. Si vous fréquentez les sites de shopping en ligne spécialisés dans l'avant-garde portable, vous trouverez d'ailleurs Mackage à côté de Rag&Bone ou Filipa K. La marque a même ouvert une boutique à SoHo... Et saviez-vous qu'Harricana, gamme de fourrure recyclée de Mariouche Gagné, est associée à Rossignol et à Jean-Charles de Castelbajac?

«Tout le milieu est en train de passer à une autre époque», croit M. Daviau. Tant mieux pour Montréal.

Photo: Olivier Pontbriand, collaboration spéciale

Ce mannequin porte une création de Marie Saint Pierre lors d'un défilé qui s'est tenu cette semaine dans le cadre de la Semaine de mode de Montréal.