Il y avait à Montréal dans les années 80 un lieu emblématique de cette époque. C'était le Lux, sur le boulevard Saint-Laurent. À la fois café, épicerie, marchand de journaux et de magazines, tout en métal et en béton, il défiait par son modernisme néo-rétro le reste de son quartier encore à peine embourgeoisé. Et il détonnait aussi dans le temps, dans ces années encore un peu imbibées des relents de Fortrel des années 70.

On s'y rendait pour flâner et avoir l'impression d'être à New York ou à Paris, dans un futur néo-rétro.

Le Lux n'a pas longtemps fait totalement bande à part. Le restaurant L'Express, la boutique Arthur Quentin, le restaurant Le Laloux... Tranquillement, une petite vague de nouveaux commerces s'est mise, un établissement à la fois, à donner à la ville cet air moderne, mais pas du tout moderniste, ancré dans une conception de l'architecture contemporaine inspirée des classiques européens. Tous, vous le devinerez, portaient la même signature, celle de Luc Laporte.

L'architecte, qui souffrait d'un cancer, vient de mourir, mais il n'est pas disparu. Son style a marqué Montréal. Musée Juste pour rire, Société des arts technologiques, pavillon du bassin Bonsecours...

«Il a réussi à créer des espaces intemporels qui traversent très bien les années», explique le designer Frédéric Metz, qui a connu l'architecte natif de la Cité-Jardin. «C'était un homme assez timide, pas du tout fanfaron, qui était voué au respect des immeubles montréalais.» Souvent, ajoute le designer, Laporte avait maille à partir avec la Ville qui l'accusait de ne pas respecter les façades, fait paradoxal, car, dit-il, il adorait conserver les structures originales. «Il aimait réellement préserver leur caractère ancien.»

Laporte n'a jamais construit de grande tour dominante au centre-ville. «Il aimait marcher dans des espaces à transformer et s'imaginer très concrètement comme on y pourrait y bouger, y vivre», résume le photographe André Cornellier, ami de longue date du défunt. «C'est un homme, ajoute Metz, qui aura marqué Montréal dans les espaces intimes.»

Si un jour vous vous retrouvez au bar du Leméac en vous disant qu'il est agréable et sympathique de manger ainsi en ville, remerciez-le.

Sa vision de l'architecture passait par des moments, de petits gestes. «Sa réflexion, continue Cornellier, ne commençait jamais sur du papier.»

Ses sources d'inspiration? «Il voyageait beaucoup», explique son grand ami, qui l'a vu par exemple aller et retourner et retourner encore à Paris pour étudier les grands bistros ou à Milan pour décortiquer les détails de ce qui fait le charme de La Scala. «C'était un gars concret.»

Et pas étonnant qu'une bonne partie de l'oeuvre qu'il laisse à notre ville soit dans des restaurants. Il y mangeait tout le temps. Chez lui, au square Saint-Louis, il n'y avait même pas de cuisine. L'architecte avait une compagne, mais pas d'enfant et il mangeait toujours à l'extérieur. Si un jour vous avez aperçu un discret au style évoquant un peu Einstein avec sa crinière ébouriffée, que ce soit au Valois, à L'Express ou au Laloux, c'était probablement lui en train de manger ou d'imaginer un nouvel espace agréable, capable de rendre hommage au temps.