Il y a quelque chose de vraiment très drôle au fait que la comédie Comme un chef prenne l'affiche à Montréal la semaine même où on apprend que le chef britannique vedette Gordon Ramsay entame une poursuite contre la rôtisserie Laurier.

C'est que tout le propos de cette gentille farce française, signée Daniel Cohen et mettant en vedette Jean Reno, tourne autour du conflit entre la tradition et le vedettariat commercialiste dans le monde de la cuisine. Un des personnages du long métrage qui sort en salle aujourd'hui, le Britannique Cyril, aux mèches blondes comme un surfeur, est même «un peu» inspiré par Ramsay, m'a confié le réalisateur en entrevue.

«Quand j'ai commencé à écrire le film il y a quatre ans, j'ai beaucoup regardé Ramsay à la télévision, explique Cohen. Je me suis amusé.»

Si vous connaissez un peu l'histoire du Laurier, cette institution montréalaise que le chef britannique a essayé de moderniser et dont il a finalement été remercié, vous comprendrez que le parallèle est réellement hilarant.

Le propos de la comédie n'est pas très compliqué: un grand chef parisien, joué par Reno, risque de perdre sa troisième étoile, car il n'est plus inspiré et il est talonné par un nouveau patron-propriétaire qui préférerait avoir une vedette à la mode au volant de son institution, le Cyril en question.

Heureusement, notre héros français est sauvé par Jackie, un cuisinier amateur, fou de cuisine, qui connaît tellement bien l'oeuvre du chef légendaire qu'il peut la faire redécouvrir à son propre auteur.

On joue un peu dans les mêmes casseroles que Ratatouille de Pixar, qui brodait aussi sur le thème du chef qui doit être rescapé, dans ce cas-là par un rat. Mais là où Comme un chef se distingue, c'est qu'il aborde de plein front, bien qu'avec légèreté, l'absurdité de vouloir à tout prix relancer les institutions avec du modernisme clinquant.

Avouez que Cohen aurait pu regarder le feuilleton du Laurier se dérouler et que son film se serait pratiquement écrit tout seul...

Le Cyril du film ne joue pas un immense rôle, mais son existence est cruciale pour l'intrigue. Il est prétentieux et n'hésite pas à dire ce qu'il pense, en commençant par son opinion sur la cuisine très classique du personnage joué par Reno, dont il estime qu'elle manque de zeste et de fraîcheur comparativement à la sienne, tout en fumées et en vapeurs gélifiées...

Car Comme un chef s'amuse aussi beaucoup à rire de la cuisine moléculaire, dont le chef de file dans la vraie vie est un Catalan, Ferran Adrià.

Dans le film, un chef espagnol est incarné par un acteur qui ne ressemble en rien au célèbre Adrià. Mais la rapidité du débit est la même, sans parler de l'accent et de la complexité du propos...

Cela dit, Daniel Cohen insiste: le but du film est de «jouer avec la nourriture». Pas question de dénoncer vertement les excès du commercialisme ou de la chimie des techniques dites «moléculaires». Ainsi, le ris de veau d'un des chefs à la mode devient des nouilles bleues fluo, tandis qu'un canard entier (chassé par le chef espagnol lui-même), devient comprimé dans un minicube.

Je ne surprendrai personne en disant que j'adore les films de cuisine. De L'aile ou la cuisse au Festin de Babette en passant par Ratatouille et Salé sucré d'Ang Lee, je les dévore et je savoure particulièrement la représentation des critiques de restaurant. Le personnage d'Anton Ego créé par Pixar est un chef-d'oeuvre, tout comme le Charles Duchemin de Louis de Funès. Surtout quand il se déguise en vieille dame, précurseur de la vraie Ruth Reichl du New York Times, qui tenait elle aussi à ce point à rester incognito.

Pardonnez-moi donc d'être indulgente devant des comédies telles Comme un chef, qui ne réinventent pas le genre, mais qui nous permettent de goûter à des saveurs sympathiques et d'en parler autrement. La cuisine moléculaire, avec ses produits inusités, ses fumées parfumées et ses poudres ésotériques, est depuis ses débuts une invitation à la caricature.

Il est en fait étonnant qu'on ait attendu 35 ans après Louis de Funès pour en rire un peu.