«Le club de hockey Canadien est la plus vieille équipe de la Ligue nationale de hockey et celle qui a connu le plus de succès. Cela fait d'elle une équipe légendaire dans l'histoire du hockey. (...) les Canadiens de Montréal, la plus grande équipe de hockey au monde. C'est le secret que tu découvriras en lisant la fascinante histoire des Canadiens.»

Vous venez de lire le début d'un texte de trois pages qui s'intitule Les légendes des Canadiens. Il fait partie du matériel pédagogique utilisé par les enseignants du primaire en français.

Texte promotionnel? Oui, sans l'ombre d'un doute. Il a d'ailleurs été conçu par le Canadien qui se garde bien de parler de ses mauvais coups, des salaires de ses joueurs qui flirtent avec les millions et de la violence au hockey. Que du positif.

Le Tricolore n'a pas fait les choses à moitié. Il a conçu du matériel pour les cours de français, de mathématiques, d'anglais langue seconde et d'éducation physique. Ces fascicules promotionnels sont implantés dans 1800 écoles primaires au Québec.

Le Canadien, une entreprise privée qui vaut 334 millions US, a réussi à arracher une subvention d'un quart de million à la ministre de l'Éducation, Michelle Courchesne, qui s'ébaudit devant le matériel.

Les fascicules comprennent des exercices. Dans Les légendes des Canadiens, les élèves doivent répondre à des questions : «Que veut-on dire par légendes, dans l'expression les légendes des Canadiens?» «Lors de la saison 2009-2010, l'équipe des Canadiens célébrera combien d'années d'existence?», etc.

Au lieu d'apprendre de telles insignifiances, pourquoi les élèves ne lisent-ils pas un roman?

La ministre de l'Éducation, du Loisir et du Sport, Michelle Courchesne, et la présidente de la Commission scolaire de Montréal, Diane De Courcy, n'y voient que du feu et trouvent que le Canadien fait oeuvre utile. Pourtant, c'est du pur pétage de bretelles.

Qu'est-ce qu'une entreprise privée fait dans les écoles? Pourquoi peut-elle farcir la tête des élèves des exploits des joueurs de hockey avec la bénédiction de Québec et les taxes des contribuables? Vos taxes.

L'attaché de presse de la ministre, Jean-Pascal Bernier, proteste. Le Canadien, dit-il, a une histoire et des partisans partout au Québec. Fort bien. Mais en quoi cela l'autorise-t-il à concocter des fascicules pédagogiques où il vante ses exploits et célèbre son 100e anniversaire?

Pourquoi le Canadien? Le Québec déborde d'entreprises qui rêvent d'avoir un accès privilégié aux élèves, ces futurs clients.

«Parce que le Canadien n'est pas une entreprise privée comme les autres, il fait partie de l'histoire, répond M. Bernier. C'est une institution plus qu'une entreprise et elle a 100 ans d'histoire au Québec.»

Qu'un partisan tienne un tel discours passe encore, mais que l'attaché de presse de la ministre de l'Éducation dise une telle énormité me scie.

Mme Courchesne a refusé de m'accorder une entrevue. Hier, les journalistes l'ont accrochée à la sortie de la réunion du Conseil des ministres. Elle a répété la même chose que son attaché de presse. Ce qui me scie encore plus.

Ce n'est pas de la publicité destinée aux enfants puisque le matériel est envoyé aux enseignants, a-t-elle précisé. C'est vrai. Sauf que les enseignants donnent le matériel aux élèves pour qu'ils fassent les exercices. De deux choses l'une : ou Mme Courchesne est de mauvaise foi, ou elle manque de jugement.

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Le Canadien est une entreprise extrêmement habile. Le directeur du département des littératures de langue française à l'Université de Montréal, Benoit Melançon, s'est penché sur le phénomène.

«Le Canadien vend son produit en s'appuyant sur les grandes vedettes du passé, dit-il. Son fonds de commerce, c'est la nostalgie, l'histoire. Si quelqu'un mérite une étoile, c'est l'équipe de marketing du Canadien.»

Le Canadien vend non seulement des billets, mais aussi une pléthore de produits dérivés.

«Avant, le Canadien s'adressait aux hommes, explique Benoit Melançon. Aujourd'hui, il cherche à accrocher la clientèle féminine. Il vend même des strings aux couleurs de l'équipe. Le public s'est rajeuni et féminisé.»

D'autres, avant le Canadien, ont essayé de mettre le grappin sur les écoles. En 1996, une caisse populaire avait conclu une entente avec une école primaire. Elle initiait les jeunes aux rudiments de la finance, tout en vantant, au passage, les vertus du Mouvement Desjardins. Pourquoi se gêner?

En 1991, un producteur avait concocté des vidéos de 12 minutes sur des sujets comme la TPS et l'accord du lac Meech. Il voulait les projeter dans les écoles secondaires. Le ministre de l'Éducation de l'époque, Michel Pagé, avait trouvé l'idée séduisante. Mais il y avait un hic : chaque émission était entrecoupée de publicités de Coke et de Clearasil.

À la fin des années 90, Investors et la Banque de Montréal avaient préparé des manuels qui circulaient dans les écoles.

Aujourd'hui, c'est le tour du Canadien qui, sous le couvert de matériel pédagogique, en profite pour mousser son entreprise. C'est de bonne guerre. Le problème, c'est la ministre qui tombe dans le panneau et livre en pâture une clientèle captive.

Pas étonnant que Mme Courchesne chapeaute non seulement l'éducation, mais aussi le sport et le loisir. En cette ère de confusion, le Ministère n'a jamais aussi bien porté son nom.