Pauvre Richard Colvin. Les conservateurs ont tout fait pour discréditer son témoignage. La semaine dernière, ce diplomate, qui a passé 18 mois à Kandahar et Kaboul en 2006 et 2007, s'est présenté devant la commission parlementaire qui examine les allégations de torture en Afghanistan. Une comparution explosive qui a plongé le gouvernement dans l'embarras.

Colvin a tout déballé : le nombre élevé de prisonniers capturés par les soldats canadiens, puis remis aux redoutables services secrets afghans, la torture, les 18 rapports alarmants qu'il a expédiés à 75 personnes, la censure imposée par les hauts fonctionnaires qui lui ont demandé de ne plus rien mettre par écrit, l'obsession du secret du gouvernement Harper.

 

Peter MacKay, ministre de la Défense nationale, a balayé le témoignage de Colvin en affirmant que c'était de la propagande de talibans. Puis, il a tiré sur le messager en discréditant le jeune diplomate.

Richard Colvin est dans une situation intenable. Il est toujours diplomate; il occupe un poste à l'ambassade du Canada à Washington. Il n'a que 40 ans. Pas besoin d'être devin pour comprendre que sa carrière est en péril. Il sera probablement condamné à brasser de la paperasse dans un obscur bureau des Affaires étrangères à Ottawa.

Colvin était coincé. S'il refusait de témoigner devant la commission parlementaire, il risquait six mois de prison pour outrage. Et s'il témoignait, il mettait sa tête sur le billot en jetant ses patrons - les conservateurs - dans l'embarras.

Le ministre MacKay n'a pas ressenti une once de sympathie pour cet homme qui a accepté de passer 18 mois dans un des endroits les plus dangereux de la planète, l'Afghanistan. Pire, le gouvernement a refusé de payer ses frais d'avocat. Du moins, au début. Colvin ne se présente jamais en public sans son avocate.

En dépit de ces tactiques d'intimidation, les conservateurs n'ont pas réussi à étouffer le scandale. La torture dans les prisons afghanes continue de les hanter.

Hier, Amnistie internationale a réclamé une commission d'enquête publique. La même demande a été faite par les trois partis de l'opposition.

Cet après-midi, l'ancien chef d'état-major, le général Rick Hillier, et lieutenant-général Michel Gauthier, en poste en Afghanistan en même temps que Colvin, vont témoigner devant la commission. Étaient-ils au courant de la torture? Ont-ils reçu les rapports de Colvin? Si oui, en ont-ils parlé au ministre Peter MacKay?

Les conservateurs ont géré ce dossier de façon désastreuse. Ils ont érigé un mur de silence et ils ont cultivé le secret de façon maladive. J'en sais quelque chose.

Je suis allée dans la prison de Sarpoza, à Kandahar, en octobre 2007 et j'ai rencontré des prisonniers. Les soldats canadiens, m'ont-ils dit, les ont capturés, puis remis aux services secrets qui les ont torturés.

J'ai aussi parlé au directeur de Sarpoza qui m'a confirmé qu'il y avait de la torture. «Quand ils sortent des services secrets, ils viennent ici, dans ma prison, a-t-il affirmé. Je sais qu'ils ont été torturés, parce que c'est moi qui les reçois.»

À l'époque, j'avais été incapable de parler à un Canadien, civil ou militaire, à Kandahar pour qu'il réagisse aux accusations des prisonniers. On me renvoyait à Ottawa où mes demandes d'entrevue étaient tassées sous le tapis. J'ai finalement reçu un courriel du ministère des Affaires étrangères qui me disait, en gros, que le Canada était «déterminé à travailler avec le gouvernement de l'Afghanistan afin qu'il respecte ses obligations internationales».

Après la publication de mon article, j'ai été convoquée par un haut fonctionnaire canadien sur la base militaire de Kandahar. Il était tout miel. «À Ottawa, nous prenons cette question très au sérieux», m'a-t-il dit.

Il voulait connaître le nom des prisonniers que j'avais rencontrés. J'ai refusé en lui disant : «Allez-y dans la prison, elle est à 20 kilomètres d'ici. C'est très facile de retracer les prisonniers qui ont été torturés. « Bref, faites votre travail.

Il n'y a aucune preuve de torture, ont répété les conservateurs la semaine dernière. Pourtant, des preuves, il y en a. Elles sont dans la prison de Sarpoza.

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En novembre 2007, le président afghan Hamid Karzaï a reconnu qu'il y avait de la torture dans les prisons de son pays. En avril 2009, la Commission afghane des droits de la personne a publié un rapport. Une vingtaine de personnes ont interviewé des victimes de la torture et leurs familles. Des informations fiables recueillies sur le terrain. Leur conclusion : 98,5% des gens interrogés affirment qu'ils ont été torturés.

La Commission afghane des droits est crédible. Ottawa lui a demandé d'être son relais sur le terrain pour suivre à la trace les prisonniers capturés par les soldats canadiens.

La torture n'existe pas, M. Harper? Vous êtes bien le seul à le croire.