Le promoteur Catania peut construire ses condos dans le vénérable couvent des Saints-Noms-de-Jésus-et-de-Marie.

Ainsi en a décidé le conseil municipal après un débat-fleuve qui a tenu les élus éveillés jusqu'à minuit et quart lundi soir. Des élus qui se sont d'ailleurs payé une belle séance de crêpage de chignon. De la haute voltige intellectuelle, croyez-moi. Einstein peut aller se rhabiller. Mais j'y reviendrai.

Donc Catania peut construire ses condos. Catastrophe, comme le croit l'opposition? Non.

Premièrement, le projet est bien ficelé. La chapelle du couvent sera restaurée et accessible au public. Une parcelle de terrain sera cédée à la Ville, qui pourra y aménager un sentier vers la montagne. Et surtout, surtout, aucune nouvelle construction ne sera ajoutée. Le couvent gardera son cachet patrimonial et aucun espace vert ne sera grugé.

 

Même Luc Ferrandez, élu-vedette de Projet Montréal, le reconnaît. Pourtant, il s'est opposé férocement - et avec une belle éloquence - aux condos de Catania.

Deuxièmement, contrairement à ce que les opposants prétendent, il n'y a eu aucune précipitation dans ce dossier. Au contraire. L'Office de consultation publique a passé le projet au peigne fin: 36 mémoires ont été déposés et 23 personnes ou organismes ont eu le temps d'exprimer leur point de vue en long et en large.

Des experts se sont aussi penchés sur le projet et l'ont jugé acceptable: Héritage Montréal, les Amis de la montagne et les comités de ci et de ça: urbanisme, architecture, patrimoine, etc.

Le projet de Catania a été ausculté, examiné, tâté, soupesé. Si quelqu'un est à blâmer dans cette histoire, c'est l'Université de Montréal, qui a acheté le bâtiment à un prix défiant toute concurrence. Les soeurs étaient trop heureuses de voir leur couvent chéri rester entre les mains d'une institution au lieu de finir en vulgaires condos.

Sauf que l'Université, après avoir pompé des millions dans le couvent, s'est rendu compte qu'elle n'avait pas les moyens de le rénover. Elle l'a donc vendu à Catania.

Les soeurs ont l'impression de s'être fait avoir avec les beaux discours de l'Université. Elles n'ont pas tort.

Ce n'est pas la Ville qui est à blâmer dans ce dossier, mais l'Université, qui a fait preuve d'un amateurisme renversant.

La vente du couvent à un constructeur de condos soulève des inquiétudes. Est-ce un premier pas vers la privatisation de la montagne, comme l'affirme la chef de l'opposition, Louise Harel?

Non, mais il faut rester drôlement vigilant. Je pense à l'ancien collège Marianopolis, un site magnifique accroché à flanc de montagne. Les sulpiciens, à bout de souffle, l'ont vendu à un promoteur, Cato, qui veut le transformer... en condos.

Sauf que Cato veut démolir deux bâtiments et construire 17 nouveaux édifices. Une baleine de béton. Sur la montagne! Une aberration.

Il reste 14 institutions sur la montagne, a précisé Louise Harel. Combien seront vendues? Qu'arrivera-t-il à l'imposant hôpital Royal Victoria? Et à l'hôpital Shriners? Et à l'école de musique Vincent-d'Indy? Condos, condos, condos? Vendus un million chacun?

Louise Harel a raison de s'alarmer. Le maire Gérald Tremblay partage d'ailleurs ses inquiétudes. «On ne peut plus regarder l'avenir du mont Royal à la pièce, a-t-il dit hier. Ça prend un débat de fond pour assurer son avenir.»

Sylvie Guilbault, directrice générale des Amis de la montagne, croit qu'il faut agir vite. «On a besoin d'une réflexion urgente sur l'avenir du mont Royal. Il faut réunir des économistes, des urbanistes, des spécialistes du patrimoine, et regarder ce qui se fait ailleurs.»

Et tout faire pour conserver le caractère public des institutions.

Revenons sur le conseil-fleuve où les membres de l'opposition ont tapé sur leur pupitre en scandant «DÉ-MO-CRA-TIE! DÉ-MO-CRA-TIE!» comme si le sort de la planète en dépendait.

Entre 23h, heure où le conseil suspend normalement ses travaux, et minuit et quart, les élus ont dérapé: tapage, cris, insultes. La conseillère de Projet Montréal, Josée Duplessis, s'accrochait à son micro comme une noyée, expliquant qu'elle ne pouvait pas demander à sa gardienne de rester jusqu'à 1h du matin. Personne ne l'écoutait.

Le président du conseil, Claude Dauphin, était complètement dépassé, abasourdi devant le déchaînement des élus. Hier matin, à la reprise des travaux, tout le monde s'était calmé.

«J'ai perdu totalement le contrôle, a dit Claude Dauphin aux élus, qui avaient l'air ahuri d'un lendemain de brosse. Ça se levait, ça criait, ça faisait n'importe quoi. Ça se pouvait plus. Et je voyais les caméras de télé filmer tout ça.»

Avec la présence de parlementaires aguerris comme Louise Harel, Réal Ménard et Michel Bissonnet, on se serait attendu à plus de retenue. C'est le contraire qui s'est passé. Il faut dire qu'il y a 40 petits nouveaux.

Qui aurait cru qu'un couvent puisse mettre les élus dans un tel état?