J'ai eu honte. Honte de moi.

Je me suis mise en colère. Une colère noire, virile, une colère qui avale tout. Quand j'y repense, le rouge me monte aux joues.

Pourtant, ce n'était rien de grave, une banale histoire comme il y en a tant.

Avril 2008, il fait beau, l'air est doux, chaud. Ça sent le printemps. Je rentre dans un magasin d'électronique pour acheter un lecteur MP3. Le soir, chez moi, je n'arrive pas à le faire fonctionner.

 

Le lendemain, je retourne au magasin, facture en main. Le lecteur est défectueux, j'en demande un nouveau. Non, me dit le vendeur, vous devez téléphoner au 1-888-samsung.

Je le regarde, éberluée. Le magasin est responsable, dis-je. Non, insiste le vendeur, appelez Samsung. Un dialogue de sourds. Je m'énerve, il s'énerve, j'exige de voir le gérant, qui arrive, sourcils froncés.

Re-dialogue de sourds. On brasse les mêmes arguments, on tourne pathétiquement en rond, le ton monte, je m'éneeerve, il s'éneeerve. Rien à faire, je frappe un mur. Je suis tellement frustrée que je fais le tour du magasin en disant (criant?) aux clients de ne pas acheter ici.

Le gérant fulmine, il trottine derrière moi en m'exhortant à quitter immédiatement son magasin, mais je ne l'entends pas, trop prise par ma colère.

Mon copain fait semblant qu'il ne me connaît pas. Il regarde le plafond, les mains dans les poches. Ça me rend encore plus furieuse. Imaginez le reste.

Même si cette histoire s'est déroulée il y a deux ans, elle me colle toujours à la peau. Je savais que j'avais raison, ma colère était légitime, sauf que j'ai dérapé. Je me suis sentie coupable. Ridicule et coupable.

Est-ce qu'un homme aurait ressenti le même sentiment de culpabilité? Aurait-il, lui aussi, dérapé? Est-ce que la colère s'exprime de la même façon chez l'homme et la femme?

«Non, explique un psychologue, Hubert Van Gijseghem. L'homme exprime sa colère de façon plus ouverte, plus physique. Chez la femme, c'est plus indirect et ça passe souvent par la parole.»

En furetant sur Google, je suis tombée sur un article de la féministe Hélène Pedneault qui fait l'apologie de la colère chez les femmes. Ça m'a rassurée.

«Je fais au moins une colère par jour, a-t-elle écrit en 1999, surtout quand j'écoute les nouvelles ou lis les journaux. J'aime la colère. Elle me garde en vie aussi sûrement que l'air, l'eau, l'amour et la littérature.»

«La colère est saine, précise Hubert Van Gijseghem. On ne pourrait pas survivre sans elle. Sans colère, on s'atrophierait.»

Et la colère n'est pas un péché, ajoute-t-il.

Je pense que je vais retourner au magasin d'électronique.