Vendredi, le chef de police de la Ville de Montréal, Yvan Delorme, a annulé son conseil de direction, qui a lieu tous les mercredis. Une mesure exceptionnelle.

Cette semaine, il devait annoncer un remaniement de son équipe de cadres. Vendredi, il a tout annulé. Encore. Les gens près du quartier général de la police se sont posé des questions. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond, se sont-ils dit.

 

Deux jours plus tard, lundi, Yvan Delorme a annoncé au maire de Montréal qu'il partait. Il en avait déjà touché un mot, vendredi, à sa chef de cabinet, Diane Lemieux. Gérald Tremblay était estomaqué: son chef, à qui il avait offert un pont d'or pour qu'il renouvelle son mandat, donnait sa démission. Comme ça, sans avertissement.

Le responsable de la sécurité publique, Claude Trudel, n'a rien vu venir. Lui aussi est tombé en bas de sa chaise quand il a su que le jeune chef de 47 ans partait.

Que cache ce départ précipité?

Rien, jure Yvan Delorme.

Il a candidement expliqué à RDI qu'il voulait faire de la moto et de la voile, en plus de gosser quelques meubles, car M. Delorme est menuisier à ses heures.

Hier, il a martelé ce message dans sa vaste tournée des médias. Il a donné des entrevues à tout le monde, même aux anglophones, lui qui baragouine à peine quelques mots d'anglais.

Il a parlé à tout le monde, sauf à moi. «M. Delorme est prêt à donner une entrevue à La Presse, mais pas à vous», a précisé son chef de cabinet, Alain Legault.

«A-t-il peur que je lui pose des questions sur BCIA?» ai-je demandé.

«Pas du tout!» a-t-il protesté.

Jeudi dernier, la veille de la démission-surprise d'Yvan Delorme, j'ai écrit que la police avait confié la surveillance de ses édifices à la firme de sécurité privée BCIA.

Le président de BCIA, Luigi Coretti, a un passé trouble: il a de nombreuses poursuites civiles et pénales sur le dos, en plus d'avoir fait faillite deux fois. La semaine dernière, BCIA s'est placée sous la protection de la Loi sur la faillite.

Deux policiers cadres de la police de Montréal, Jimmy Cacchione et Giovanni Diféo, ont aidé Luigi Coretti à embaucher au moins un de leurs collègues, un lieutenant-détective qui songeait à la retraite.

Est-ce normal que deux cadres, amis intimes de Luigi Coretti, travaillent comme démarcheurs pour BCIA? Et est-ce normal que la police confie la surveillance de ses édifices à un homme au passé trouble? En février, j'ai posé ces questions à Yvan Delorme. Il a refusé d'y répondre.

Le lendemain de la publication de mon article sur BCIA, Yvan Delorme a commencé les grandes manoeuvres qui ont mené à sa démission. Coïncidence? Peut-être.

M. Delorme nie tout lien. «Je n'ai aucun squelette dans mon garde-robe», a-t-il dit à ma collègue Katia Gagnon.

Pas de squelette? Fort bien. Pourquoi, dans ce cas, a-t-il refusé de répondre à mes questions?

* * *

J'ai trouvé un squelette. Ou plutôt une histoire troublante, mais qui n'a aucun lien avec le départ de M. Delorme. Mario Gisondi, membre de l'état-major de la police, numéro 3 au SPVM, est aussi président de la société Constructions Masy.

«M. Gisondi n'a rien à se reprocher», a tranché M. Delorme.

J'ignore sur quelle planète éthique il vit. L'escouade Marteau, à laquelle participe la police de Montréal, a été mise sur pied au mois d'octobre par le gouvernement Charest pour débusquer la corruption dans l'industrie de la construction.

Et le numéro 3 de cette même police est président d'une entreprise de construction? Une entreprise tout à fait légale, faut-il le préciser. N'empêche. M. Gisondi doit forcément connaître des gens, tisser des relations d'affaires. Comment peut-il, en toute sérénité, lancer ses inspecteurs sur les chantiers de construction pour qu'ils enquêtent sur la corruption?

Et comment M. Delorme peut-il affirmer qu'il n'y a aucun problème? Tout va bien, tout va très bien.

Le maire est-il au courant? Son responsable de la sécurité publique, lui, ne l'était pas. Claude Trudel a avoué qu'il ignorait tout des liens de M. Gisondi avec le milieu de la construction.

Où M. Gisondi trouve-t-il le temps de gérer son entreprise tout en s'occupant de ses dossiers au SPVM?

Pas très rassurant, tout ça.

* * *

Hier, M. Delorme a dit à ma collègue que les circonstances de son départ «étaient favorables», que «le service allait bien».

On nage en pleine enquête publique du coroner sur la mort de Fredy Villanueva, Montréal-Nord a connu la pire émeute de son histoire, et les circonstances sont favorables?

Et le service va bien? Rarement l'humeur des policiers aura-t-elle été aussi morose. Peu d'entre eux vont verser une larme sur le départ de leur chef. Le sort de leur convention collective est entre les mains d'un arbitre. C'est la première fois depuis 1989 qu'un chef ne réussit pas à s'entendre avec ses policiers.

Mais bon, tout va bien, M. Delorme va prendre sa retraite et faire de la moto.

Amusez-vous bien, M. Delorme.