Personne ne veut de l'échangeur Turcot dessiné par le ministère des Transports. Personne. Rarement un projet aura-t-il suscité autant d'animosité et de rejet.

Le Tout-Montréal a tiré à boulets rouges sur le projet: le maire Gérald Tremblay, la chef de l'opposition, Louise Harel, les élus de Projet Montréal. Des adversaires politiques unis pour dénoncer le Ministère. Du rarement vu.

 

La direction de la santé publique, le Parti québécois et les maires de Westmount et de Montréal-Ouest ont ajouté leurs voix à ce concert de protestations. Sans oublier les résidants de l'arrondissement du Sud-Ouest obligés de vivre à l'ombre de cet échangeur mitonné dans les bureaux du Ministère à Québec.

Tous en disent le plus grand mal: béton, béton, béton " expropriations. Un projet conçu pour les autos et les camions. Une conception rétrograde digne des années 60. Et rien, absolument rien pour les transports en commun, du moins dans la version présentée devant le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) en 2009.

Mais ce qui choque le plus, ce sont les remblais sur lesquels l'autoroute serait construite. Des remblais qui, par endroits, formeraient une muraille aussi haute qu'un triplex. Des remblais qui couperaient le quartier en deux.

Le Sud-Ouest en arrache. Il est fortement enclavé par de nombreuses voies de chemin de fer et l'échangeur Turcot. Un arrondissement coincé dans un no man's land de béton où vivent 70 000 personnes.

Pendant des années, les groupes communautaires et les élus ont travaillé d'arrache-pied pour désenclaver le Sud-Ouest. Et aujourd'hui, le Ministère débarque avec ses immenses remblais?

Le rejet est viscéral.

«L'opposition contre les remblais est farouche. Le quartier est déjà défiguré et le Ministère veut y ajouter de nouvelles cicatrices? demande, incrédule, Denis Lévesque, porte-parole de Mobilisation-Turcot. On veut nous enfoncer encore plus dans le béton.»

«Depuis 20 ans, le quartier fait des efforts monumentaux pour développer une qualité de vie. Et là, on nous remet du cloisonnement? Pouf! Un remblai! Ça n'a aucun sens», proteste le maire du Sud-Ouest, Benoit Dorais.

Mais le Ministère persiste et signe. Il tient mordicus à ses remblais. Le sous-ministre aux Transports, Jacques Gagnon, a concédé du bout des lèvres qu'il pourrait alléger les remblais en y faisant quelques percées, mais ces ouvertures restent bien timides.

Pourquoi le Ministère est-il incapable d'écouter les Montréalais? Pourquoi tient-il à leur enfoncer ces remblais dans la gorge? La réponse est simple: parce que c'est drôlement plus économique que de construire sur des piliers. En ces temps d'austérité budgétaire, le Ministère est prêt à tout pour économiser, y compris passer sur le corps des Montréalais.

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La Ville de Montréal a conçu son propre projet pour contrer celui du Ministère. Pendant trois mois, ses fonctionnaires ont planché sur un concept d'autoroute circulaire perchée sur des piliers. Un projet que la ministre des Transports, Julie Boulet, s'est empressée de descendre avec un bazooka.

Le projet de la Ville est bâclé. De beaux dessins, de belles photos, mais pas de chiffres, pas d'échéance, pas de mesures de transition pour assurer la circulation pendant sa construction. Le Ministère a profité de ces trous béants pour démolir le projet, et Radio-Canada a envoyé une équipe à Chicago, qui a un échangeur circulaire depuis une cinquantaine d'années. Constat: l'autoroute est chroniquement congestionnée. Un échec.

Le maire ne tient pas mordicus au concept circulaire. Ce qu'il veut, c'est un projet plus vert, construit sur des piliers, sans remblais, et qui inclut des transports en commun dans son axe est-ouest, où 65% des déplacements sont effectués par des gens qui font l'aller-retour entre la banlieue et le centre-ville. Une clientèle idéale pour le tramway, le train ou l'autobus.

Pas question de diminuer la capacité de l'axe nord-sud, où circulent les camions, a précisé la Ville, accusée à tort de vouloir nuire au transport des marchandises.

Le Ministère a mis de l'eau dans son vin. Il est prêt à ajouter une voie réservée aux transports en commun dans l'axe est-ouest, comme le suggère la Ville. Il est prêt aussi à diminuer le nombre d'expropriations, qu'il qualifie pudiquement d'acquisitions.

Trop peu, trop tard? Tant que le Ministère s'accrochera à ses foutus remblais, il n'y aura pas d'entente. Hier, le sous-ministre Gagnon a rencontré la direction générale de la Ville. Le but: essayer de trouver un terrain d'entente.

Mais il faudrait d'abord que la ministre Julie Boulet parle à Gérald Tremblay. Car le gouvernement a la mauvaise habitude de passer par-dessus la tête de Montréal. C'est vrai que Québec va éponger la facture, mais la ministre pourrait tout de même faire preuve d'un minimum de respect envers le maire. Après tout, Turcot passe sur son territoire.

Est-ce trop demander à Mme Boulet? Il semble que oui. Sa sensibilité montréalaise frôle le zéro absolu. Pour le plus grand malheur de Montréal.

À lire demain: le culot de la ministre Boulet