Lorsque la ministre Julie Boulet a décidé de modifier le projet Turcot, elle n'a pas appelé le maire de Montréal. Elle s'est rendue à LCN et c'est aux journalistes qu'elle a expliqué la nouvelle mouture de son échangeur.

Le maire Tremblay? Il marinait dans son jus à l'hôtel de ville. Il n'avait pas vu le nouveau projet, qui empruntait pourtant des éléments auxquels la Ville tenait mordicus, comme les transports en commun. La ministre a préféré parler d'abord à LCN, à qui elle a présenté «en exclusivité» son Turcot revu et amélioré.À la mairie, l'humeur était sombre. L'attitude cavalière de la ministre leur restait en travers de la gorge.

La ministre proteste. Elle m'a appelée, hier. Elle n'a donné d'exclusivité à personne, a-t-elle tenu à préciser. «Le maire savait depuis plusieurs mois que je travaillais pour ajouter des transports collectifs. Je l'avais dit à l'Assemblée nationale.»

Qui a raison? Le maire, qui se sent tenu à l'écart, ou la ministre, qui affirme que la Ville et le Ministère travaillent main dans la main?

Le dossier de l'échangeur Turcot est déjà assez complexe sans qu'on y ajoute une guéguerre de pouvoir. Jamais les relations entre la ministre et le maire n'ont été aussi mauvaises.

Mais revenons à Julie Boulet et à ses révélations «exclusives» à LCN.

Deux jours auparavant, Montréal et Québec s'étaient crêpé le chignon autour de l'échangeur.

Le ministère des Transports (MTQ) et la Ville ont des visions diamétralement opposées. Montréal veut un projet vert qui intégrera les transports en commun et limitera les expropriations au maximum. Il veut aussi un échangeur bâti sur des piliers, et non sur des remblais comme l'exige Québec.

Le Ministère, lui, pensait plutôt auto, béton, remblai et expropriations. Rien pour les transports en commun. Un projet pur et dur, digne des années 60.

Pour contrer le Ministère, le maire a décidé de frapper un grand coup en dévoilant son propre projet d'échangeur: un grand machin circulaire dessiné sur le coin d'une table. La ministre n'a même pas pris le temps de respirer avant de tirer à boulets rouges sur le projet de la Ville.

C'était le 21 avril. Deux jours plus tard, Julie Boulet s'est présentée à LCN, tout sourire, avec dans ses poches un échangeur Turcot plus vert où elle acceptait de réduire de 15 à 25% la circulation routière dans l'axe est-ouest, comme la Ville le demandait, en plus d'intégrer des éléments de transports en commun. Elle promettait aussi de diminuer le nombre d'expropriations, un point épineux.

Le déblocage est important, mais il a fallu que la ministre gâche tout en paradant devant les caméras de télévision.

Après, on se demande pourquoi la construction de l'échangeur Turcot bloque, pourquoi Québec et Montréal passent leur temps à se chamailler et pourquoi le projet agonise depuis 2006.

* * *

La Ville n'a jamais accepté le projet du Ministère. En juin 2009, devant les commissaires du BAPE, le maire Tremblay a laissé sa langue de bois au vestiaire.

«Nos divergences avec le MTQ sont profondes et concernent l'essence même du projet, a expliqué Gérald Tremblay. Pour le Ministère, il s'agit de la réfection d'une infrastructure routière (...) pour nous, il s'agit de réaliser un véritable projet urbain intégré.»

Lorsque Julie Boulet a accusé le maire d'arriver trop tard avec son projet d'échangeur circulaire, elle arrangeait la réalité avec le gars des vues. «Il est minuit moins cinq», a-t-elle reproché à Gérald Tremblay avec une bonne dose de mauvaise foi.

La ministre a omis de préciser que Montréal avait tout fait pour essayer de lui vendre sa vision de l'échangeur Turcot.

Julie Boulet a longtemps fait la sourde oreille en s'accrochant à son projet béton. Pourquoi ce refus obstiné d'écouter la Ville? Je veux bien que Québec paie la facture, mais ce n'est pas une raison pour lever le nez sur les aspirations légitimes de Montréal.

Quand le maire de Québec, Jean-Paul L'Allier, s'est plaint du fait que l'autoroute Dufferin défigurait sa ville, le gouvernement s'est empressé de pomper 20 millions pour la refaire.

Montréal? Prenez un numéro, M. Tremblay. On a d'autres chats à fouetter.

* * *

Ce n'est pas la première fois que Québec et Montréal s'affrontent sur des projets d'infrastructures. On n'a qu'à penser à l'autoroute 25 et à l'increvable dossier de la rue Notre-Dame, qui traîne dans le décor depuis des années. Pendant que la Ville militait pour un boulevard urbain, le ministre des Transports de l'époque, Guy Chevrette, essayait d'imposer son autoroute en tranchée, une sorte de Décarie 2 dont personne ne voulait.

Comme quoi rien ne change: les ministres passent, mais la vision béton du MTQ reste.