Le courriel est étrange, le ton familier. Trop familier. Il a été envoyé aux 4600 policiers de la Ville de Montréal, sans oublier les civils. Au total, 7200 personnes l'ont reçu, tard le soir. Peu après minuit, le 18 mai.

C'est le chef de police, Yvan Delorme, qui l'a écrit. Les premières lignes donnent le ton. «Vous êtes ceux à qui je suis le plus redevable, donc je vous écris directement, et ne passerai surtout pas par La Presse pour m'adresser à vous...», commence-t-il.

Yvan Delorme revient sur quelques dossiers chauds: sa démission-surprise, la firme de sécurité privée BCIA qui a surveillé le quartier général de la police sans contrat et le double emploi de certains policiers.

Il a pondu ce courriel à chaud, moins d'une heure après la fin d'un conseil municipal houleux où le contrat de BCIA et les liens entre son patron, Luigi Coretti, et M.Delorme ont soulevé des vagues.

«Ce soir, le conseil de ville faisait écho à la saga qui secoue notre organisation depuis l'annonce de ma retraite, écrit Yvan Delorme. J'aimerais faire le point avec vous sur certains éléments qui font la manchette depuis bien trop longtemps à mon goût.»

Et il donne des explications. Qui ne sont pas des explications, car il n'y a aucune réponse aux trop nombreuses questions. Sur BCIA, par exemple, pas un mot sur l'absence de contrat. Yvan Delorme se contente de dire que «ce dossier est complexe et a dû faire face à plusieurs rebondissements hors du contrôle de tous».

Sur le double emploi, rien sur Mario Gisondi, le numéro trois de la police qui dirige une entreprise de construction. Il rappelle que «la Loi sur la police possède plusieurs mécanismes afin d'éviter aux policiers du Québec de se retrouver malgré eux dans des situations de conflits d'intérêt».

Et il ajoute: «Posons-nous la question dans toute cette saga: à qui profitent donc ces histoires???»

Question énigmatique - qu'il ponctue de trois points d'interrogation - à laquelle il ne répond pas.

Il termine en parlant de respect. «Finalement, je demande le droit au simple respect que vous méritez tous. Vous qui êtes en tout temps et quel que soit le poste que vous occupez, les meilleurs! Oui, vous êtes en tout temps les bons!»

À la fin du courriel, un post-scriptum: «Oui, oui, encore une fois écrit de mon blackberry... je vais me coucher bientôt...»

Personne n'a relu le courriel avant qu'il soit expédié aux 7200 employés du SPVM. Écrit à chaud, sans filet. Lui, le chef du plus grand corps de police du Québec; lui, qui patauge dans la controverse depuis des semaines.

Pas très prudent. Ni très rigoureux.

* * *

M.Delorme n'est pas le seul à s'imaginer qu'il va s'en tirer en escamotant le fond des choses. L'administration Tremblay aussi essaie d'ensevelir le dossier BCIA.

Il faut dire que Luigi Coretti a causé pas mal de remous. Le ministre de la Famille, Tony Tomassi, a dû démissionner parce qu'il avait utilisé une carte de crédit de BCIA alors qu'il était député. Le ministre de la Sécurité publique, Jacques Dupuis, a été éclaboussé, car son cabinet est intervenu auprès de la Sûreté du Québec pour que M.Coretti obtienne un permis de port d'arme.

Le gouvernement du Québec a perdu des millions en investissant dans BCIA. Luigi Coretti aurait aussi distribué des billets à des employés de son entreprise pour des activités de financement non seulement du Parti libéral, mais aussi du parti du maire Tremblay, Union Montréal. Le Directeur général des élections enquête.

Bref, tout cela est d'intérêt public. Qui oserait prétendre le contraire?

Vendredi matin, Yvan Delorme va comparaître devant la Commission de la sécurité publique. Sauf que cette réunion se déroulera à huis clos, car, a précisé le responsable, Claude Trudel, «c'est de nature plutôt privée».

Privée? La réunion va se tenir à l'hôtel de ville, devant des élus, le chef de police sera sur le gril et le seul point à l'ordre du jour est BCIA. Privée? Je ne comprends pas. Ou plutôt, je comprends trop bien. Peur des révélations embarrassantes? Pourtant, au lendemain de sa réélection, Gérald Tremblay a promis qu'il serait un homme nouveau, transparent. Et à la première controverse, il muselle les élus?

Il a invité la chef de l'opposition, Louise Harel, à cette réunion privée. Sauf qu'elle sera liée par le huis clos. M.Delorme pourra faire toutes les révélations qu'il voudra, ses secrets - s'il en a - seront protégés par le huis clos.

Le comble, c'est que la réunion a été déplacée. Elle aura lieu au deuxième étage de l'hôtel de ville, un endroit interdit aux journalistes. M.Delorme pourra donc entrer et sortir en douce, évitant soigneusement les journalistes. Pourquoi ce jeu de cache-cache?

C'est ça, le nouveau Gérald Tremblay?