C'est du jamais vu. Le vérificateur de la Ville de Montréal, Jacques Bergeron, contredit le maire et tape sur les doigts du directeur général, Louis Roquet.

Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il n'a pas froid aux yeux.

Il s'est dit beaucoup de choses sur son rapport depuis qu'il a été rendu public à la mi-mai. Hier, devant la commission des finances qui siégeait à huis clos, Jacques Bergeron a décidé de remettre les pendules à l'heure dans un document de neuf pages bien tassées. Et assassines. Un geste sans précédent.

 

Louis Roquet en sort amoché et le maire, égratigné.

Commençons par le maire.

Dans son rapport, le vérificateur est impitoyable avec TELUS: un dossier mal dirigé, mal ficelé, mal évalué. Un contrat de 10 ans pour implanter un nouveau système téléphonique.

À cause de «graves indices d'irrégularités», Jacques Bergeron a décidé de remettre le dossier à la Sûreté du Québec.

Réaction du maire: «Je le savais depuis des mois. Le vérificateur n'invente absolument rien. C'est moi qui ai demandé au service du capital humain d'appeler la Sûreté du Québec. La SQ a fait son enquête, elle a même déposé des accusations au criminel.»

C'est vrai, sauf que le maire se trompe de dossier. Il parle d'une histoire de fraude qui remonte à 2008 et qui n'a rien à voir avec TELUS.

C'est le même service, la division du service informatique, qui est impliqué, mais les ressemblances s'arrêtent là. Dans le dossier TELUS, c'est le vérificateur et non le maire qui a remis le dossier à la police. L'enquête commence et il n'y a eu ni accusation ni arrestation.

Le maire s'est-il mêlé dans ses papiers? A-t-il confondu les deux dossiers qui sont, pourtant, fort différents? A-t-il été mal informé par son cabinet? A-t-il pris une certaine liberté avec les faits puisque les deux dossiers relèvent du même service? Ou a-t-il refusé d'admettre que la police débarquait encore à l'hôtel de ville?

Faut-il rappeler que c'est la troisième fois en un an qu'un vérificateur appelle la police.

La bavure est de taille, car le maire laisse entendre que le vérificateur sert du réchauffé et n'apporte rien de nouveau. Il discrédite son travail qui, pourtant, devrait être intouchable, car c'est le chien de garde de son administration. Il est payé pour déterrer les petits et grands secrets de la Ville. Que cela plaise ou non au maire.

Gérald Tremblay devrait s'excuser auprès du vérificateur.

* * *

Parlons du directeur général Louis Roquet, maintenant. Il a refilé en douce un exemplaire du rapport à TELUS avant que les élus l'aient entre les mains. Une grave erreur de jugement.

Louis Roquet a protesté, non, non, non, TELUS devait voir le rapport, car il contenait des éléments qui pouvaient lui nuire. Il a même ajouté qu'il avait eu raison d'agir ainsi puisque le vérificateur avait finalement modifié son rapport pour ne pas nuire à la compétitivité de TELUS.

Faux, a dit le vérificateur, hier. Aucune modification n'a été apportée. Ouch!

Jacques Bergeron a aussi fait la leçon à Louis Roquet qui prétendait qu'il faut toujours vérifier auprès d'une tierce partie lorsqu'elle est mentionnée dans un rapport.

Faux, a de nouveau dit M. Bergeron. Son mandat consiste à vérifier la Ville et non TELUS. Et il cite un article de l'Institut canadien des comptables agréés qui confirme cette pratique.

Bref, Louis Roquet était dans le champ. Complètement. Jacques Bergeron a même obtenu un avis juridique qui critiquerait sévèrement le geste de Louis Roquet. Un autre qui devrait s'excuser.

* * *

Le temps n'est pas au beau fixe entre Jacques Bergeron et le maire. Le Vérificateur veut plus d'argent et davantage de ressources, mais l'administration Tremblay fait la sourde oreille. Par contre, elle ne se gêne pas pour lui pelleter de nouvelles responsabilités, comme la ligne de dénonciation.

Le Vérificateur est quasiment obligé de quêter auprès du comité exécutif pour obtenir un budget supplémentaire pour traiter les nombreuses plaintes générées par la fameuse ligne. Le comité exécutif, qui relève du maire, demande des comptes au Vérificateur avant de débloquer l'argent. Pourtant, seul le conseil municipal, donc tous les élus, y compris l'opposition, ont ce droit. De quoi se mêle le comité exécutif?

Si le Vérificateur avait un plus gros budget, il pourrait mettre son nez dans la Société de transport de Montréal (STM), où il se brasse des gros-gros projets. Est-ce que les coûts dérapent? Est-ce que l'argent est bien dépensé? Seul le Vérificateur peut nous le dire. Encore faut-il qu'il en ait les moyens.

Lorsque Gérald Tremblay a été réélu, il a promis de faire le ménage. Il a mis en place des mécanismes pour assurer une plus grande transparence. Mais dans ce ménage, il a «oublié» son vérificateur.

Est-ce un ménage purement cosmétique où la poussière est tassée sous le tapis?

Si le maire veut vraiment changer les choses, qu'il cesse d'affamer son Vérificateur.