Le rapport du vérificateur du Québec, Renaud Lachance, est dévastateur. Même s'il utilise des mots polis, son message est cinglant.

Lacunes, inexactitudes importantes, hypothèses inappropriées et non fondées, absence de vision quant aux coûts globaux. Et la conclusion qui tue: «Les conditions de succès pour une saine gestion n'ont pas été réunies.» En langage vérificateur, on se rapproche de la kalachnikov.

 

Le gouvernement a demandé à Infrastructure Québec, qui a remplacé l'Agence des PPP, de refaire les analyses comparatives entre le public et le privé. La question: faut-il construire les hôpitaux universitaires en PPP (partenariat public-privé) ou en mode traditionnel (public)?

La conclusion d'Infrastructure Québec: en PPP, car c'est plus économique.

Le constat du vérificateur: rien ne permet d'affirmer une telle chose. Au contraire, le public serait plus économique.

En lisant les 38 pages bien tassées du rapport du vérificateur, on ne peut s'empêcher de se dire que les dés étaient pipés en faveur des PPP.

Infrastructure Québec n'avait pas beaucoup de crédibilité pour mener une telle analyse. C'est comme si le gouvernement avait demandé au loup de surveiller le poulailler. Infrastructure Québec est quasiment un copier-coller idéologique de la défunte Agence qui considérait les PPP comme la huitième merveille du monde.

Heureusement que le vérificateur veille au grain et rappelle tout ce beau monde à l'ordre. C'est la quatrième fois qu'il met son nez dans le dossier. Hier, le rappel était brutal.

Un exemple qui montre à quel point le jupon d'Infrastructure Québec dépasse: l'indice de vétusté. Un hôpital construit par le public souffrirait d'un «déficit d'entretien dès la première année de sa mise en service». Ce déficit, affirme Infrastructure Québec, correspondrait à un indice de vétusté de 20%.

«C'est loufoque! affirme Pierre Hamel, spécialiste des finances publiques et professeur à l'INRS. À 20%, on est proche du taudis et du toit qui coule.»

Après 30 ans, soit la durée du contrat où le privé s'occupe de l'hôpital avant de le remettre au gouvernement, l'indice grimperait à 66%. Toujours au public. Là, affirme Pierre Hamel, on est dans le délire.

«Pour arriver à 66%, il aurait fallu non seulement ne pas entretenir l'immeuble, mais aussi faire des trous dans les murs et le toit.»

Quant à l'évaluation globale des coûts, on nage en pleine fantaisie. Pour le Centre de recherche du CHUM, 325 dérogations ont été accordées. «Si certaines concernent une ampoule électrique au-dessus d'une porte, explique Pierre Hamel, d'autres touchent des éléments majeurs comme l'ajout de quatre salles d'ophtalmologie.»

Infrastructure Québec n'a pas tenu compte de ces dérogations. Résultat, conclut le vérificateur: impossible d'évaluer correctement les coûts et d'établir une comparaison entre le public et le privé.

Quand on regarde tout ça, on se pose une question: est-ce qu'Infrastructure Québec fait exprès pour être dans le champ, ou quoi?

Faut-il rappeler qu'on parle d'un projet qui frise les 3,5 milliards de dollars?

Échaudé par les dérapages des grands projets construits par le public, le gouvernement a décidé d'aller en PPP.

Sauf que les PPP sont loin de régler tous les problèmes. Au contraire, prévient Pierre Hamel, ils peuvent vite tourner au cauchemar.

Le principe des PPP est simple: un consortium, formé de plusieurs firmes privées, construit. Il doit respecter un échéancier et un budget fixés par le gouvernement. Le privé assume, en principe, la plupart des risques. Le gouvernement paie un loyer pendant 30 ans avant d'hériter de l'hôpital.

Sauf que, pendant toutes ces années, c'est l'État qui paie pour l'entretien.

Il peut se passer bien des choses en 30 ans. Le consortium peut faire faillite, une des firmes peut se retirer, la chicane peut prendre. «Les PPP, dit Pierre Hamel, c'est comme un mariage. Tu ne peux pas divorcer pendant 30 ans, mais au bout de 15 ans tu ne sais même plus avec qui tu couches.»

Le gouvernement devrait songer sérieusement à remettre le bébé entre les mains du public, car la voie des PPP est trop périlleuse. Hier, la présidente du Conseil du Trésor, Monique Gagnon-Tremblay, s'est montrée ébranlée par le rapport du vérificateur.

À Londres, note Pierre Hamel, c'était le privé qui pilotait la rénovation du métro, le plus gros projet de PPP au monde. Le consortium a fait faillite et la Ville a hérité du dossier.

Est-il trop tard pour reculer?

Non, croit Pierre Hamel, sauf que l'opération risque d'être douloureuse. «C'est le principe du bras dans le tordeur. Plus ton bras est avancé, plus ça fait mal quand tu le retires. Et plus ça coûte cher.»