C'est du joli. Le quartier général de la Sûreté du Québec est surveillé par une firme de sécurité privée, Sécur-Action, que la police de Montréal a décidé de mettre à la porte.

Sécur-Action surveille non seulement les locaux de la SQ, mais aussi ceux de la police de Montréal. Du moins jusqu'au 30 septembre, jour où Sécur-Action ne fera plus affaire avec la Ville.

Les locaux des deux corps de police les plus importants du Québec sont surveillés par une entreprise qui n'est pas au-dessus de tout soupçon. Renversant.

Ce n'est pas très sérieux. On flirte avec l'incompétence. La police chargée de pourchasser les criminels et d'enquêter sur les secrets de l'industrie de la construction est incapable de choisir une firme fiable pour surveiller ses locaux.

Ça nous fait une belle jambe.

La Sûreté du Québec dirige l'opération Marteau sur la construction. Les agents de sécurité de Sécur-Action notent, dans des registres, les noms des gens qui rencontrent les enquêteurs. Depuis la commission Bastarache, on connaît la valeur de ces registres qui peuvent contenir des informations explosives, comme le nombre de visites d'un important argentier du Parti libéral au bureau du premier ministre Jean Charest.

Imaginez la même information à la sauce Marteau.

D'où l'importance d'embaucher une firme dont l'intégrité est béton.

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La police de Montréal, qui a embauché Sécur-Action en mai, a mené une enquête de routine, comme elle le fait toujours lorsqu'elle recrute des agents de sécurité pour surveiller ses locaux. Sauf que la police est tombée sur un os et la routine s'est transformée en enquête plus approfondie. Elle s'est intéressée, entre autres, au président de Sécur-Action, Éric Beaupré.

La Ville payait Sécur-Action avec des bons de commande en attendant qu'un contrat en bonne et due forme soit approuvé par le comité exécutif et le conseil municipal. Sauf que des enquêteurs ont alerté la Ville. Le comité exécutif a repoussé l'adoption du dossier à deux reprises.

Le vérificateur de la Ville était, lui aussi, sur le point de déclencher une enquête sur Sécur-Action.

Le maire Gérald Tremblay a été prudent. Il ne voulait pas revivre le psychodrame du printemps avec la firme de sécurité BCIA. Finies les bavures. Pas question de se taper un deuxième BCIA.

Car le printemps a été difficile. BCIA, qui surveillait le quartier général de la police depuis plusieurs années, venait de se placer sous la protection de la Loi sur la faillite, et son président, Luigi Coretti, a été éclaboussé par des scandales. Quelques jours plus tard, le chef de police de Montréal, Yvan Delorme, démissionnait.

La police de Montréal avait pourtant enquêté sur BCIA. Résultat: tout est beau, M. Coretti est blanc comme neige. On connaît la suite. Ce genre d'enquête est fait sur le bord de la table. Rien de costaud. Enquête est un grand mot d'ailleurs; vérification serait plus approprié.

Revenons au printemps. BCIA est donc sur le bord de la faillite. La police ne sait pas à qui confier la surveillance de ses locaux. Elle opte pour Sécur-Action, aussi fiable que le roc, croit-elle, car elle travaille pour la Sûreté du Québec. Ironique, non?

Pendant que la police de Montréal fait son travail, la SQ, elle, dort au gaz. Elle a fait une petite enquête de vérification sur Sécur-Action en 2007 lorsque la firme a obtenu le contrat de surveillance pour la première fois. Elle a de nouveau enquêté lorsque Éric Beaupré a acheté Sécur-Action en novembre 2009. Pas de problème, a conclu la SQ, tout est nickel.

Pourtant, la police de Montréal est arrivée à d'autres conclusions. Ce qu'elle a découvert - et refuse de dévoiler - a été suffisamment compromettant pour que la Ville décide de couper les ponts avec Sécur-Action.

Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond à la Sûreté du Québec. C'est tout de même un peu gros: l'enquêteur «enquêté» qui se fait prendre les culottes baissées. Un peu humiliant pour un corps policier qui dirige Marteau, l'enquête de la décennie.