Chloé est un vétéran. Elle travaille pour Mélissa depuis 1994.

Seize ans d'appels érotiques, 16 ans de clients émoustillés, 16 ans à haleter au bout du fil.

Le vocabulaire érotique n'a plus de secret pour elle. Pourtant, quand elle a débuté dans le métier, elle était «ignorante sexuellement».

Elle venait de divorcer, elle était prise à la gorge financièrement et elle avait de sérieux problèmes de santé, séquelles d'un accident de voiture.

Elle broyait du noir: dépressive, hantée par des pensées suicidaires - héritage de son divorce, mais aussi de son enfance difficile. «Ma mère était folle et mon père agressif», précise-t-elle. Querelles, violence, agressions sexuelles.

Elle a feuilleté le journal et elle est tombée sur la petite annonce de Mélissa. Elle n'a pas hésité une minute. Elle a plongé dans l'univers érotique corps et âme. Elle était compulsive, collée sur son téléphone 24 heures sur 24. Une sorte de thérapie qui l'a aidée à dompter ses démons.

«Je me suis accrochée à ça. Quand je dominais un client, je me défoulais, je voyais mon agresseur.»

Elle vit seule avec ses trois chiens et ses deux perruches. Pas d'enfant, mais quatre fausses couches. Peu de gens connaissent son métier. «Il y a beaucoup de tabous, on ne peut pas en parler à tout le monde.»

Aujourd'hui, elle a ralenti le rythme. L'âge... Elle fait de la couture entre deux appels érotiques. Elle veut continuer. Longtemps.

«Je vais arrêter quand ma voix sera tremblotante et que je vais me promener en marchette dans un centre d'accueil.»

L'ancienne et la nouvelle

Daphné était très nerveuse la première fois qu'elle a appelé un client.

L'homme, un soldat, était autoritaire. «Il voulait dominer et je devais être soumise. C'était particulier...»

Elle a 48 ans, mais elle dit à ses clients qu'elle en a 32. Elle n'a ni enfant ni copain.

Elle vient d'un milieu ouvrier - son père était machiniste. Elle fait ce métier depuis une dizaine d'années. Elle ne se scandalise pas facilement. «Je viens d'une famille très ouverte», précise-t-elle.

Elle a commencé en douceur. Elle se cherchait un amoureux sur l'internet. Les hommes lui disaient qu'elle avait une belle voix. Certains lui demandaient: «Ça te tenterait pas de faire un petit téléphone érotique?»

Pourquoi pas? s'est-elle dit. «J'aimais ça, je trouvais ça le fun.»

Quand la manufacture où elle travaillait a fermé ses portes, elle a décidé de plonger. «J'ai toujours aimé ça, jaser. J'aime le monde. J'ai un petit côté travailleuse sociale.»

Elle a des problèmes de santé - asthme, diabète. Et de poids. Le travail de téléphoniste érotique lui convient parfaitement.

«Pas question d'arrêter. Tant que j'ai des clients, je continue. Ma voix ne fait pas trop vieille et je pogne encore. La retraite, ce n'est pas pour demain.»

Dalia, elle, est nouvelle. Elle travaille pour Mélissa depuis à peine un an et demi. Jamais elle n'aurait pensé qu'elle gagnerait sa vie en faisant des téléphones érotiques.

Tout allait bien dans sa vie, elle avait un baccalauréat en littérature et un bon boulot dans une grosse boîte de communications. Mais un accident bête a tout fait basculer. Elle s'est blessée à une jambe. Opérée trois fois, immobilisée à la maison, déclarée inapte au travail.

Elle s'est retrouvée seule, sans ressources, endettée jusqu'au cou. «Il fallait que je me revire de bord, sinon c'était l'aide sociale. Et ça, il n'en était pas question.»

Elle a lu le journal et elle est tombée sur l'annonce de Mélissa.

Son premier client l'a traumatisée. Vulgaire, très vulgaire. «J'ai pleuré et j'ai pris une longue douche. Je n'ai pas touché au téléphone pendant deux jours.»

Elle a vite pris de l'assurance. «Si un client m'engueule, je ne me gêne pas pour le rembarrer.»

Et elle impose ses limites. «La bestialité, les enfants, c'est non. Imagine, tu as un client depuis six mois et tout à coup, il te demande de jouer à la petite fille de 8 ans. Veux, veux pas, tu es un objet sexuel. Ce n'est pas très gratifiant comme travail.»

Sa mère a été horrifiée quand Dalia lui a confié qu'elle faisait des téléphones érotiques. «Elle l'est encore. Elle ne veut pas que je lui en parle.»

Par contre, elle n'en a pas soufflé mot à sa meilleure amie. «Oui, je fais des appels érotiques, mais en dehors de mon travail, je suis une dame», insiste-t-elle.

Elle a fini par apprécier son travail: pour la liberté qu'il lui procure. Pas d'horaire fixe ni de patron. Et parce qu'il lui a permis de survivre. Elle gagne, en moyenne, 500$ par semaine.

Entre deux clients, elle rêve d'une autre vie. Elle voudrait être écrivaine.

«Pour écrire un essai?

- Non, non, de la fiction, répond-elle en riant. Surtout pas un essai, ma vie est déjà trop réelle.»

* Tous les noms ont été changés.